Wu Cheng’en, La Pérégrination vers l’Ouest

Le Moine et le singe

La Péré­gri­na­tion vers l’Ouest  est le célèbre roman-fleuve chi­nois, dont le per­son­nage cen­tral est un Singe pèle­rin. Il est une sorte de dédou­ble­ment ou de trans­po­si­tion bur­lesque de la péré­gri­na­tion vers l’Inde d’un moine nommé Xuan­zang.
Dès le début du IXe siècle, l’imagination popu­laire chi­noise s’empare des exploits de ce moine parti avec sa canne pour seul compagne.

Traver­sant fleuves et mon­tagnes, courbé sous le poids des cen­taines de soû­tras boud­dhiques qu’il rame­nait dans une hotte d’osier,” tel Pro­mé­thée rap­por­tant le feu sacré dans la conca­vité d’un roseau” il revient chez lui après être allé là où nul autre n’a osé.
Il a vu et entendu ce que per­sonne n’a jamais vu et entendu. Il tra­verse de vastes éten­dues peu­plées de fan­tômes démo­niaques et grimpe sur de fabu­leuses mon­tagnes aux neiges éter­nelles pour retour­ner en son pays natal avec son pré­cieux tré­sor : six cent cinquante-sept ouvrages “capables de faire envo­ler les puis­sances invi­sibles du mal”.

Son his­toire devint la source d’inspiration de nom­breuses légendes qui où appa­raissent des ani­maux mais aussi des créa­tures sur­na­tu­relles. Déjà dans la Chan­te­fable de la quête des soû­tras par Xuan­zang des grands Tang ( du Xe ou XIe siècle) appa­raît dans l’histoire pre­mière un Roi des Singes, accom­pa­gnant le pèle­rin dans son voyage et contri­buant puis­sam­ment à sa réus­site.
Cer­taines pièces du théâtre des Yuan avaient aussi pour sujet la quête des soû­tras par le fabu­leux moine. Et il exis­tait, sous ces mêmes Yuan, un roman inti­tulé La Péré­gri­na­tion vers l’Ouest attesté mais perdu. Mais c’est ce roman qui sera repris et déve­loppé au XVIIe siècle par Wu Cheng’en (1506–1582) pour abou­tir à La Péré­gri­na­tion vers l’Ouest telle qu’on la connaît.

Xuan­zang n’y est plus le héros de l’entreprise, mais le simple pro­tégé de monstres ou d’esprits-animaux conver­tis au boud­dhisme, avec au pre­mier rang le Singe pèle­rin. Les épreuves et les aven­tures aussi bizarres qu’extraordinaires n’ont presque plus aucun rap­port avec les sources his­to­riques. Mais c’est ce qui fait la force du livre.
Wu Cheng’en déve­loppe  en un ima­gi­naire effréné, une extra­va­gance voire une sorte de folie. Elle anime les cent cha­pitres d’un roman qui jouxte super­be­ment l’invraisemblable.

Ajou­tons que le récit devien­dra la légende de l’introduction du boud­dhisme en Chine, légende tou­jours très popu­laire. L’ouvrage fait par­tie des très grands clas­siques de la lit­té­ra­ture chi­noise.
Pour y bien entrer il faut — peut-être, voire cer­tai­ne­ment - com­men­cer par lui. Dérai­son­nable jusque dans son foi­son­ne­ment même, il recon­duit sans cesse le sens vers l’insensé.

Comme l’écrit André Lévy, res­pon­sable et tra­duc­teur de cette édi­tion, ce roman “est au fond, la culture obs­ti­née et assi­due du Vide, comme l’indique le nom du per­son­nage prin­ci­pal, un singe : Conscience de la vacuité du monde”.

jean-paul gavard-perret

Wu Cheng’en, La Péré­gri­na­tion vers l’Ouest, 2 tomes (65,00 € chaque). Edi­tion et tra­duc­tion d’André Lévy, Biblio­tèque de la Pléiade, Gal­li­mard, 2020.

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