Celle qui se lève le matin par lâcheté : entretien avec Ella Balaert (Poissons rouges et autres bêtes aussi féroces )

Ella Balaert pos­sède (ou si l’on pré­fère “Ella elle a”)  ce que beau­coup n’ont pas : une dis­tance, une intel­li­gence qui lorsqu’elle est vrai­ment digne de ce nom se trans­forme en iro­nie et humour. Celui-ci est, pour son der­nier livre,  qua­li­fié par la domp­teuse de “noir de café”. De Rabe­lais, via Cer­van­tès jusqu’à Beckett et Nova­rina les maîtres sont des maîtres du genre — même si pour les pre­miers un tel breu­vage n’existait pas encore.
Si la maî­tresse en méta­mor­phoses ne tien­dra (sans doute) pas rigueur d’une telle absence de jus­tesse his­to­rique, elle rejoint (sans le moindre doute) le cercle  de tels for­bans d’école buis­son­nière. Celles et ceux qui ignorent encore l’oeuvre d’Ella Balaert trou­ve­ront dans les réponses à cet entre­tien une bonne pro­pé­deu­tique à une Ségur rosse et par­fois rose chry­san­thèmes en hom­mage à cer­tains de ses per­son­nages qui dis­pa­raissent entre chien et loup — à moins qu’ils ne soient man­gés par eux.
Au besoin, les nar­ra­trices de ses nou­velles  — moins timides que leur auteure sauf en ses affa­bu­la­tions — s’en occupent.

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La lâcheté ; l’odeur du café ; le per­son­nage d’un texte en cours qui me tire par les pieds.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Des rêves d’ex-enfant.

A quoi avez-vous renoncé ?
À croire en ce à quoi je ne crois pas.
Des limbes — sau­vée in extre­mis à la naissance.

Qu’avez-vous reçu en “dot” ?
Le « nous », pour le meilleur (la soli­da­rité) et pour le pire (la néga­tion du « je »)

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Pour­quoi « petit » ?

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres auteures ?
Ce qui me dis­tingue de moi-même, d’un livre à l’autre, et me rend dif­fi­cile à ran­ger sous une seule éti­quette, c’est-à-dire, sur des thé­ma­tiques récur­rentes autour du réel et des appa­rences, des textes for­mel­le­ment très variés : un peu de lit­té­ra­ture jeu­nesse et dans le domaine adulte : vie ima­gi­naire (d’une pirate), récit fan­tas­tique (en forêt), récit cho­ral (dans un car de Cyniques contem­po­rains), récit bio­gra­phique (de Sand), roman épis­to­laire, roman mono­lo­gué à la deuxième per­sonne, théâtre, roman kaléi­do­sco­pique (avec chat), roman social (dans les milieux de la nacre), nouvelles.

Quelle impor­tance l’humour possède-t-il dans votre œuvre ?
Variable, très pré­sent dans cer­tains textes, et dans ce cas noir, comme le café.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Le pre­mier pas sur la lune, de l’homme et de l’humanité : autant le fait que la manière de le dire (mais peut-être pas à la même époque)

Et votre pre­mière lec­ture ?
“La petite fille aux allu­mettes”, pure tragédie.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Sou­vent, des voix.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Aucun, je ne relis presque plus.

Quel film vous fait pleu­rer ?
Plein de films. La chute dans l’escalier de Scar­lett O’Hara, Élé­phant Man, Au revoir les enfants, Le choix impos­sible de Sophie, Le Cercle des Poètes dis­pa­rus, Love Story etc.  Men­tion spé­ciale à ceux qui font rire et pleu­rer, Cha­plin, Les Temps Modernes (« What’s the use of trying… ») , le Kid, Les Feux de la rampe, ou Almo­do­var (Talons aiguilles…) etc…

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Quelques fantômes.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Plein de gens, je suis timide.

Quel lieu a pour vous valeur de mythe ?
Une loge d’Opéra.

Quels sont les écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Proche serait pré­somp­tueux, mais des lec­tures ont été ins­pi­rantes et nour­ris­santes, à un moment ou un autre, des textes sous ten­sion, d’autrices et d’écrivains en recherche, en tra­vail sur la langue, libres, auda­cieux, sin­gu­liers, dans le baro­quisme ou le dépouille­ment,  le trash ou l’élégance, et qui m’ont donné à réflé­chir, à réagir, à com­prendre le monde, les mondes… Quelques exemples, sans effet d’ordre, sans exhaus­ti­vité : Ander­sen et autres contes, A. Rad­cliffe, J. Aus­ten, Bache­lard, C. Ben­ha­mou, T. Bern­hard,  A. Bierce, C. Mar­ti­nez, J. Cabré, Cer­van­tès, Colette, Cor­ta­zar, V.Despentes, E. Dickin­son, A. Dillard, Dos­toïevski, Faulk­ner, J.P. Gali­bert, Gom­bro­wicz, Hoff­mann, Inoué, Jeli­nek, S.Kane, V. Khoury-Ghata, L.Labé, La Roche­fou­cauld, N. Lefebvre, A. Liddle, J. Lima, C. Lis­pec­tor, Madame de Sévi­gné écri­vant à sa fille, T. Mor­ris­son, A. Mun­roe, A.de Noailles, Noguez, K. Oé, C. Oum­hani,  B. Pas­cal, C. Per­kins,  Pes­soa, S. Plath, Poe, Proust, Rabe­lais, Racine, Rim­baud, I.Rosa, Sand, Sar­raute, M. Shel­ley, G. Stein, E. Whar­ton, V. Woolf, Yacine, Your­ce­nar, U. Zürn, Zweig…

D’où venez-vous ?
Des Limbes.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Un auto­mate.

Que défendez-vous ?
Défense d’humilier. Défendre les humbles – les liber­tés — l’altérité.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Le mot Amour n’aime pas trop l’amour. On peut aussi y voir une blague à la Lich­ten­berg et son fameux couteau.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
D’accord – mais avec quoi ?

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Qu’est-ce qui est réel ?

Entre­tien  et pré­sen­ta­tion réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 5 octobre 2020.

Leave a Comment

Filed under Entretiens, Nouvelles, Romans, Théâtre

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>