Six nageoires au fil de l’eau (quand elle monte): entretien avec “Trois Petites Truites”: Camille, Eloïse et Stéphanie

S’ins­crit dans cette superbe inter­view d’Eloïse tout un mou­ve­ment qui déplace les truites. Les seules lignes aux­quelles elles se laissent prendre à Crest — leur port d’attache — sont celles des livres. Ceux qu’elles publient jaillissent “entre deux folies douces polies comme les galets de la rivière Drôme”.
Que l’eau monte ou qu’elle soit au bas niveau la rivière déborde de l’imaginaire de celles et ceux qui animent et illus­trent ce vivier où il existe mêmes des truites “aux nageoires téles­co­piques dédiées à gar­der les dis­tances de sécu­rité pré­co­ni­sées”. Existe ainsi un lieu du lieu de poé­sie qui ne suit plus for­cé­ment son cours admis dans l’eau et ses rêves.
Se des­sinent le pas­sage d’une poé­sie des eaux et une méta­poé­tique de cet élé­ment et le pas­sage d’un plu­riel à un sin­gu­lier. L’eau per­met un apport d’images, un prin­cipe qui les fonde. Elle devient, dans une contem­pla­tion qui s’approfondit, un élé­ment de l’imagination aussi maté­ria­li­sante qu’amusante. Elle va du prin­temps à l’hiver pour reflé­ter toutes les sai­sons et les uni­vers à tra­vers des créa­tions aussi fré­tillantes et pri­me­sau­tières que pro­fondes.
https://troispetitestruites.wordpress.com/

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
C’est le soleil qui met la jour­née en marche, c’est son reflet sur les vague­lettes et dans les remous. Et les nuages qui par­fois racontent des his­toires et font de l’ombre aux bai­gneurs. C’est jamais pareil, et c’est pour ça.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Intacts. L’esprit du mou­ve­ment truite, c’est jus­te­ment de réa­li­ser ses rêves d’enfant.

A quoi avez-vous renoncé ?
A se lais­ser por­ter par le cou­rant. Trop facile, trop pareil, trop loin de la source, de là où jaillissent les rêves d’enfant.

D’où venez-vous ?
D’un gey­ser, quelque part entre deux folies douces polies comme les galets de la rivière Drôme : ça ne se mesure pas, ça jaillit.

Qu’avez-vous reçu en dot ?
La confiance de cel­leux qui regardent de loin comme de cel­leux qui mettent les nageoires dans le cam­bouis. Pas de marée noire, juste des petites touches arc-en-ciel. C’est pré­cieux, hein.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Thoïo­nade et foie de morue (même si l’odeur per­siste des heures).

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres éditeurs-trices ?
Le lus­tré des écailles.

Com­ment définiriez-vous votre approche du livre ?
A pieds joints, se rou­ler dedans et s’enduire le corps tout entier, inha­ler, ingé­rer, digé­rer, dis­sé­mi­ner, consom­mer consom­mer consommer.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Une tête de pois­son coif­fée d’un habit ber­bère. Classieux.

Et votre pre­mière lec­ture ?
Une fulgurance.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Les bips de nos mes­sa­ge­ries What’s app, la cadence de la machine riso, le clic des pinces à assem­bler les pages, le cli­que­tis de la machine à coudre, les rires gras, le shlack du mas­si­cot, le fré­tille­ment des nageoires.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
“Tem­pêtes dans un verre d’eau”, pre­mier du nom édité chez Trois Petites Truites Edi­tions, jamais autant lu le même livre. Le métier qui rentre.

Quel film vous fait pleu­rer ?
“Et au milieu coule une rivière”, hymne à la pêche à la mouche.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Trois sal­mo­ni­dés de taille réduite en posi­tion ver­ti­cale, six pattes arrières. Etonnant.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Ber­trand Belin, suite à la lec­ture de son admi­rable Requin.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Il y a parmi tant d’autres le cirque d’Archiane dans le Ver­cors, là où volent les rapaces et au pied duquel se cache­rait une pis­ci­cul­ture de truites sur-surveillée. Impos­sible de les libé­rer. Contrai­re­ment à St Fér­réol Trente Pas où les truites s’évadent les jours d’inondation pour faire du sla­lom entre les voitures.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Les édi­tions des Lisières / Les édi­tions de la Contre Allée / La revue Muscle / L’atelier du Han­ne­ton / La bou­che­rie Lit­té­raire / Marion Fayolle / Eloïse Coussy…

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Un manus­crit cousu main qui ferait bon­dir le coeur.

Que défendez-vous ?
Becs et ongles, les petites voix et les petites mains. Elles font de très grandes choses.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Un long silence. Suivi d’une longue ins­pi­ra­tion. Et d’un autre long silence. Et d’une expiration.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Il faut inté­grer dans cha­cun de nos actes la notion de consen­te­ment. N’est-ce pas Woody ?

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
C’est quoi au fait, le mou­ve­ment truite? S’agit-il d’une ondulation?

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, 27 août 2020.

2 Comments

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2 Responses to Six nageoires au fil de l’eau (quand elle monte): entretien avec “Trois Petites Truites”: Camille, Eloïse et Stéphanie

  1. Villeneuve

    Le superbe film “Et au milieu coule une rivière”, hymne à la pêche à la mouche doit beau­coup à l’acteur Brad Pitt dans l’étrange magie du MONTANA et le talent du réa­li­sa­teur Robert Red­ford . Mais l’histoire est si dramatique !

  2. Jeanne

    Les Trois Petites Truites connaissent la source glis­sant sur les galets brû­lants du lit de la Drôme…

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