S’inscrit dans cette superbe interview d’Eloïse tout un mouvement qui déplace les truites. Les seules lignes auxquelles elles se laissent prendre à Crest — leur port d’attache — sont celles des livres. Ceux qu’elles publient jaillissent “entre deux folies douces polies comme les galets de la rivière Drôme”.
Que l’eau monte ou qu’elle soit au bas niveau la rivière déborde de l’imaginaire de celles et ceux qui animent et illustrent ce vivier où il existe mêmes des truites “aux nageoires télescopiques dédiées à garder les distances de sécurité préconisées”. Existe ainsi un lieu du lieu de poésie qui ne suit plus forcément son cours admis dans l’eau et ses rêves.
Se dessinent le passage d’une poésie des eaux et une métapoétique de cet élément et le passage d’un pluriel à un singulier. L’eau permet un apport d’images, un principe qui les fonde. Elle devient, dans une contemplation qui s’approfondit, un élément de l’imagination aussi matérialisante qu’amusante. Elle va du printemps à l’hiver pour refléter toutes les saisons et les univers à travers des créations aussi frétillantes et primesautières que profondes.
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Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
C’est le soleil qui met la journée en marche, c’est son reflet sur les vaguelettes et dans les remous. Et les nuages qui parfois racontent des histoires et font de l’ombre aux baigneurs. C’est jamais pareil, et c’est pour ça.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Intacts. L’esprit du mouvement truite, c’est justement de réaliser ses rêves d’enfant.
A quoi avez-vous renoncé ?
A se laisser porter par le courant. Trop facile, trop pareil, trop loin de la source, de là où jaillissent les rêves d’enfant.
D’où venez-vous ?
D’un geyser, quelque part entre deux folies douces polies comme les galets de la rivière Drôme : ça ne se mesure pas, ça jaillit.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
La confiance de celleux qui regardent de loin comme de celleux qui mettent les nageoires dans le cambouis. Pas de marée noire, juste des petites touches arc-en-ciel. C’est précieux, hein.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Thoïonade et foie de morue (même si l’odeur persiste des heures).
Qu’est-ce qui vous distingue des autres éditeurs-trices ?
Le lustré des écailles.
Comment définiriez-vous votre approche du livre ?
A pieds joints, se rouler dedans et s’enduire le corps tout entier, inhaler, ingérer, digérer, disséminer, consommer consommer consommer.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Une tête de poisson coiffée d’un habit berbère. Classieux.
Et votre première lecture ?
Une fulgurance.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Les bips de nos messageries What’s app, la cadence de la machine riso, le clic des pinces à assembler les pages, le cliquetis de la machine à coudre, les rires gras, le shlack du massicot, le frétillement des nageoires.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
“Tempêtes dans un verre d’eau”, premier du nom édité chez Trois Petites Truites Editions, jamais autant lu le même livre. Le métier qui rentre.
Quel film vous fait pleurer ?
“Et au milieu coule une rivière”, hymne à la pêche à la mouche.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Trois salmonidés de taille réduite en position verticale, six pattes arrières. Etonnant.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Bertrand Belin, suite à la lecture de son admirable Requin.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Il y a parmi tant d’autres le cirque d’Archiane dans le Vercors, là où volent les rapaces et au pied duquel se cacherait une pisciculture de truites sur-surveillée. Impossible de les libérer. Contrairement à St Férréol Trente Pas où les truites s’évadent les jours d’inondation pour faire du slalom entre les voitures.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Les éditions des Lisières / Les éditions de la Contre Allée / La revue Muscle / L’atelier du Hanneton / La boucherie Littéraire / Marion Fayolle / Eloïse Coussy…
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un manuscrit cousu main qui ferait bondir le coeur.
Que défendez-vous ?
Becs et ongles, les petites voix et les petites mains. Elles font de très grandes choses.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Un long silence. Suivi d’une longue inspiration. Et d’un autre long silence. Et d’une expiration.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Il faut intégrer dans chacun de nos actes la notion de consentement. N’est-ce pas Woody ?
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
C’est quoi au fait, le mouvement truite? S’agit-il d’une ondulation?
Présentation et entretien réalisés par par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, 27 août 2020.
Le superbe film “Et au milieu coule une rivière”, hymne à la pêche à la mouche doit beaucoup à l’acteur Brad Pitt dans l’étrange magie du MONTANA et le talent du réalisateur Robert Redford . Mais l’histoire est si dramatique !
Les Trois Petites Truites connaissent la source glissant sur les galets brûlants du lit de la Drôme…