Richard Meier, Illusion Sillon. Inépaisseur des illusions 4

Visi­ta­tions

L’oeuvre de Meier garde dans le temps plas­tique lit­té­raire une place par­ti­cu­lière, ori­gi­nale. Elle peut sem­bler expé­ri­men­tale : elle est avant tout natu­relle dans l’approche de l’écrit et de l’image pour que “ça” parle.

Sur les fon­da­tions de ce qui fait trace, l’auteur et artiste remonte à l’origine  : de la lettre d’une part comme de la ligne, au pan ou la tache de l’autre. Nul besoin de recours aux mythes qui pour­raient repor­ter cette approche vers un cer­tain pla­to­nisme. Ici la “paroi” est pariétale.

De ce fait, l’oeuvre est aussi char­nelle que fan­tas­ma­go­rique, l’abstraction devient elle-même sen­suelle. Ecrire et des­si­ner est donc cet éter­nel retour (mais dont la visée est le futur) à la recherche de l’origine même de l’acte d’écrire, de des­si­ner, de naître ou renaître de “ça” : c’est une ten­ta­tive de don­ner la parole à un fon­de­ment intime autant qu’insaisissable.

Et ce, pas à pas, frag­ments par frag­ments du lepo­rello. Ici, la “figu­ra­tion abs­traite” n’a rien à voir avec celle des mys­tiques : ce n’est plus la vaste entre­prise de dis­si­mu­la­tion du désir, de ses errances. Les “Visi­ta­tions” de Meier pro­posent l’économie du fan­tasme de la visi­bi­lité.
Le signe (la lettre) et les formes ne dési­gnent pas quelque chose d’extérieur : il et elles ne s’ajoutent pas à l’écriture ou à l’image, mais en deviennent l’expression aussi ascé­tique que charnelle.

Loin d’être dis­si­mu­la­tion, elle n’est pas osten­ta­tion mais sou­ligne l’illusion en une éla­bo­ra­tion où la sur­face fait pro­fon­deur (de vue). Dégagé des fic­tions exa­gé­rées, l’artiste revient à un “sol” cre­vassé où s’étirent des plans sur la comète.
Mots et images, lorsqu’on tire des­sus, viennent ensemble. Dès lors, de telles visi­ta­tions dési­gnent un rap­port direct avec l’expérience du mon­trage ou de l’explicitation. Mais elles se passent du mot juste voire même juste du mot. Si bien que le lepo­rello devient une suite de moments d’intuition et d’illumination de la puis­sance révé­la­trice d’une vérité fon­da­men­tale sur l’être et son destin.

Images et mots s’absorbent en eux-mêmes pour une pré­sence dont la venue, toute pres­sen­tie, les éclai­rera et les rem­plira. Cela res­semble à une can­ti­lène ou une fable ébau­chée. Émanent de la pénombre toute fémi­nine de l’inconscient le tracé et la lettre.
Les deux sont por­tés  jusqu’à la trans­pa­rence de l’expression de diverses natures, son épais­seur de mémoire, sa rêve­rie sur les obs­cu­ri­tés du désir, sa nos­tal­gie d’un impos­sible che­min qui serait de lumière et d’innocence et dont il ne reste, comme ver­tige et ves­tige, que le bou­quet des ombres consumées.

Sans pré­va­lence de la lettre ou de l’image l’une sur l’autre, ce tra­vail reste une expé­rience inté­rieure et  l’expression de l’existence. L’Enfance du verbe comme le péché de l’image (du moins si l’on en croit cer­taines tra­di­tions) passent avant tout le “reste” et témoignent d’un enga­ge­ment total : la vie n’est sou­vent pour l’écrivain et l’artiste que le réduit le plus perdu de ses mots et de ses images.
Le tout sans la moindre déré­lic­tion des­sé­chante mais avec qua­si­ment une joie ancrée et encrée dans ce qui devient l’histoire d’un che­mi­ne­ment. Il a pour but de venir se bou­cler en quelque uté­rin séjour où, nou­veaux Jonas dor­lo­tés par les vagues, les signe s’échangent ou se mangent. Dévo­rer et être dévoré est ici le même plai­sir et la même plé­ni­tude. Il n’y faut voir là aucun déses­poir mais l’appel d’un éter­nel retour dans un pro­jet anthropologique.

Meier s’efforce seule­ment de le déchif­frer dans les miroirs des songes col­lec­tifs ou indi­vi­duels en une sorte de para­doxale “mytho­bio­gra­phie”. Car c’est seule­ment dans l’écart entre le texte et l’image que tout se crée, approxi­ma­tion par approxi­ma­tion en des opé­ra­tions aussi sub­tiles que pre­mières.
Les franges ambi­guës d’espace et de temps — où lumières et ténèbres s’engendrent sans répit — créent  un effet de pure imma­nence et rémanence.

jean-paul gavard-perret

Richard Meier, Illu­sion Sillon. Inépais­seur des illu­sions 4, Edi­tions Voix, Richard Meier, 2020.

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