De l’héroïsme en temps de guerre
Journaliste, correspondant aux États-Unis, membre de la rédaction de la revue Guerres & Histoire, Maurin Picard consigne, depuis de nombreuses années, le témoignage des vétérans de la Seconde Guerre mondiale, quelle que soit leur nationalité.
En allant à la rencontre de vétérans français, américains, allemands, anglais ou polonais, l’auteur a su faire naître la confiance nécessaire pour que ces hommes, très souvent peu loquaces, acceptent de lui raconter ce que fut la Seconde Guerre mondiale à leur échelle.
Et l’auteur de se demander aussitôt ce qu’ils peuvent raconter qui ne l’ait déjà été ? Il plaide pour la manière dont ils se sont attachés à défendre une cause, un idéal, à la différence des conflits asymétriques actuels.
Maurin Picard insère ensuite ces témoignages dans le récit de chaque opération, afin d’en donner le contexte et le déroulement au-delà de l’immédiat champ de vision du témoin. Tout en montrant la diversité des situations, ces témoignages illustrent de façon spectaculaire la part de l’homme dans une guerre matérielle.
Ils permettent enfin, par une approche sensible, de rendre une identité à la masse de combattants anonymes en mettant en exergue l’engagement héroïque d’hommes qui se disent ordinaires, mais dont l’imagerie traditionnelle (parachutistes aux peintures de guerre d’inspiration indienne, bombardiers décollant de porte-avions dans la tempête, commandos aux traits creusés, portant la croix de Lorraine sur la manche…) a fait des héros au fil des années.
La question de l’héroïsme est soulevée : ces hommes sont-ils des héros ou des guerriers ? Karl Marlantes (ex-Marine, décoré de la Victory Cross au Vietnam) apporte une réponse : « l’héroïsme induit quelque chose d’altruiste : les gens qualifiés de héros sont allés au-delà de ce qui était attendu d’eux, risquant leur vie pour celles des autres » (Matterhorn, 2011), regrettant que le terme soit galvaudé, puisqu’il est désormais courant d’appeler ainsi « tous ceux qui ont servi dans l’armée ».
Mais il précise : « Ce ne sont pas tous des héros, mais ce furent en revanche des guerriers. Le terme, qui convoque les figures de Conan et Cochise, caractérise ceux qui furent prêts à risquer leur vie, à exercer une forme de violence à l’encontre d’autres individus, à choisir leur camp durant un combat, et ne signifie pas forcément qu’ils auront un jour à se montrer braves ».
De fait, tous les personnages présentés ici ont le même avis : il ont agi « parce qu’il fallait le faire », et non par quête de reconnaissance ou de gloire. Ils n’ont pas l’impression d’avoir accompli quelque chose d’exceptionnel, puisque tous leurs camarades en faisaient autant : « appelez-les des héros, et ils partiraient en courant », disait Tom Hanks, comédien et producteur américain, à propos de Band of Brothers, mettant en scène la 101e division aéroportée en 2001.
Maurin Picard précise ensuite que si le terme de héros est aujourd’hui galvaudé aux Etats-Unis, son emploi est plus mesuré, et même « suranné » dans la langue de Molière, et que c’est dû au brouillage installé par une trop longue période de guerre, allant de 1939 à 1962, où « les infortunes militaires, les changements de régime et les révolutions ont durablement brouillé le rapport des Français à d’hypothétiques ‘rôles-modèles’, dilués dans le magma d’une identité nationale ébranlée et vacillante. […] Cette longue guerre, livrée aux quatre coins du globe (sic), a provoqué tant de retournements qu’à quelques exceptions notables, comme celle du Général Leclerc, certains héros d’un jour sont devenus des parias, à l’instar du Maréchal Pétain, de l’athlète et ministre Jean Borotra ou de l’aviateur Pierre Le Gloan ».
Faire coexister des témoignages de vétérans anglo-américains, français, allemands et canadiens permet à l’auteur de nuancer le propos et d’éviter l’écueil d’une histoire contée uniquement du point de vue des vainqueurs. D’autre part, les faits d’armes évoqués n’ont pas tous fait basculer le sort de la guerre, même si certains vétérans ont tenu le sort du monde entre leurs mains, tel Dick Cole, lors du premier raid sur Tokyo, dont les conséquences ont été immenses, ou Dutch van Kirk, qui pilotait « Enola Gay », le bombardier d’Hiroshima. Bien sûr, ce dernier exemple montre que ces personnages « ne sont pas des enfants de chœur » : pour tous ces vétérans, l’équation est simple : tuer ou être tué ».
Et le cas de Dutch van Kirk ravive la controverse sur l’arme nucléaire : pour ce pilote, peut-on parler de « héros ordinaire », lorsque son implication dans la guerre a hâté la mort de dizaines de milliers de civils à Hiroshima ? C’est que l’auteur le retient en tant qu’individu mû par « la volonté d’en finir avec la guerre », ce qui empêche le cas de ce dernier pilote de se distinguer des milliers d’autres aviateurs britanniques ou américains qui ont déversé des milliers de tonnes de bombes sur les villes allemandes ou japonaises.
Mais Maurin Picard précise que « trois quarts de siècle après, il reste difficile de valider le qualificatif de ‘héros’ », même si, en 1945, tout le Pacifique allié aurait volontiers usé de ce terme, puisque c’est son action qui mit fin à la guerre. Et de reprendre la dichotomie de Marlantes : « il a parfaitement répondu aux attentes liées à ses responsabilités, et risqué sa vie pour en sauver de nombreuses autres ».
L’ouvrage n’a pas pour but de clore le débat, mais a vocation à relater la façon dont une poignée de vétérans ont appris à vivre avec leur passé.
Après les hostilités, la culpabilité qui ronge ces hommes, dont de nombreux sont morts entre 2013 et 2019, s’accroît avec le temps ; tous, après les hostilités, ont repris un métier, technique ou conceptuel, et la plupart ont retrouvé l’équilibre grâce à une famille attentionnée ; d’autres ont continué de brûler leur vie ; certains disent avoir « trouvé Dieu » au gré du plus fort des combats, ou en ressassant leurs expériences.
Finalement, l’ouvrage, à travers ces témoignages saisissants et de premier plan, soulève des questions bien plus vastes : qu’est-ce que l’héroïsme en temps de guerre ? Peut-on pardonner le cynisme des combattants dans le feu de l’action, plus soucieux de leur survie que de leur postérité ?
Ces témoignages, choisis pour leur humanité, leur fibre épique et leur valeur historique permettront au lecteur de se faire sa propre idée.
yann-loic andre
Maurin Picard, Des héros ordinaires : au cœur de la Seconde Guerre mondiale, Tempus, 2019, 400 p. — 10,00 €.