Les Honneurs de la guerre

Si ce film n’a pas été assez vu depuis 1961, il est temps de le voir et de le sor­tir d’une confi­den­tia­lité qu’il ne mérite pas

Nanteuil, été 44, des résis­tants sont coin­cés dans le clo­cher de l’église. Des sol­dats alle­mands les guettent, écra­sés par la cha­leur, un peu dés­œu­vrés et dépi­tés. La Wehr­macht est en déroute. Un peu plus loin, dans un autre vil­lage, un groupe de résis­tants s’organise avec plus ou moins d’enthousiasme. Ces résis­tants apprennent en cours de route, sur leur vieux camion déglin­gué, que des négo­cia­tions sont en cours. Heu­reux et sou­la­gés de ne pas avoir à se battre, ils s’arrêtent à une auberge au bord de l’eau pour boire, man­ger et bati­fo­ler dans les herbes. Mais un offi­cier alle­mand arrive dans le vil­lage pour reprendre en main la com­pa­gnie alle­mande et reprendre les négo­cia­tions. Va-t-il remettre la machine de guerre en marche ? Les hommes de la com­pa­gnie alle­mande hésitent : la veille, ils ont pendu un “ter­ro­riste” mais ils ne veulent plus se battre. Leur der­nier espoir : se livrer aux Amé­ri­cains qui approchent.

Tous, Fran­çais et Alle­mands, attendent quelque chose, coin­cés entre la guerre qui s’achève et la paix qui s’annonce. C’est un film sur l’attente. Tous les sens sont en éveil : un bruit léger, un petit mou­ve­ment ou un simple détail visuel peuvent annon­cer le salut, l’après-guerre. On guette le moindre signe. Ces résis­tants du dimanche, un peu enivrés, sont vite dégri­sés et rap­pe­lés à l’ordre par les cloches de l’église qui annoncent la fin de la trêve. Le com­bat doit-il reprendre ? Inquiets, ils montent sur un arbre pour sur­veiller le vil­lage dont le clo­cher se détache sur la cam­pagne val­lon­née. Un camion alle­mand s’approche avec un canon atta­ché à l’arrière.

Mais dans un tel contexte, com­ment inter­pré­ter les signes ? Ces camions alle­mands qui rentrent dans le vil­lage désert avec des canons, ne trans­portent pas de muni­tions mais d’excellentes bou­teilles de vin, de la bière et du cognac. Cette pré­sence sym­bo­lique des canons dans le vil­lage masque l’absence de muni­tions ; tan­dis que les Alle­mands se mettent à boire à leur tour, l’offensive se prépare.

J’aime ce film et je veux le défendre, parce que c’est un film de guerre où les Alle­mands parlent alle­mand. Remar­quable. C’est un film de guerre parce qu’on y voit des hommes tirer, on y voit des hommes mou­rir mais jamais on ne voit les hommes frap­pés par les balles. Jean Dewe­ver a refusé ces images faciles. La qua­lité des plans, la rigueur du mon­tage et la méca­nique si pré­cise de l’enchaînement témoignent d’un pro­fond res­pect du spec­ta­teur. Il est tel­le­ment facile de construire des mythes par le cinéma. Mais le cinéma n’est peut-être vrai­ment grand que lorsqu’il détruit ces mythes et se place là, au cœur de ce pro­ces­sus, de cette cris­tal­li­sa­tion de désirs col­lec­tifs, de pro­jec­tions. On est loin de la misère sym­bo­lique des grandes pro­duc­tions sim­plistes parce que c’est un film de guerre qui se situe hors du champ de bataille.

À sa sor­tie, le film a été cen­suré, inter­dit aux moins de 16 ans. Au début des années 1960 le mythe de la résis­tance fonc­tion­nait à plein. Mon­trer un résis­tant, à l’embonpoint plus que pro­noncé, le ban­deau des FTP au bras, à moi­tié émé­ché avoir du mal à des­cendre d’un arbre n’était pas poli­ti­que­ment accep­table. Ce film refuse tous les mythes et rem­place les héros par des hommes, pris dans une guerre totale et inhu­maine qui les domine. Ce film est-il huma­niste et désa­busé ? Il est désa­busé parce qu’humaniste. On pense à Jean Renoir et à sa Par­tie de cam­pagne qui se dérou­le­rait en pleine guerre.

Frappé par la moder­nité de ton et d’approche du film, Fran­çois Truf­faut a écrit à Jean Dewe­ver en 1979 :
Elle n’est pas mince ma fierté de voir “les hon­neurs de la guerre” figu­rer désor­mais au cata­logue du Car­rosse et je tenais à vous le dire car j’aime ce beau film indé­mo­dable et j’ai la cer­ti­tude qu’il sera mieux vu et appré­cié par la nou­velle géné­ra­tion de spec­ta­teurs. 
Alors si ce film n’a pas été assez vu depuis 1961, il est temps de le voir en cette fin d’année 2006 et de le sor­tir enfin d’une confi­den­tia­lité qu’il ne mérite pas.

camille ara­nyossy

Jean Dewe­ver, Les Hon­neurs de la guerre (1961), DVD for­mat PAL édité par Doriane Films, novembre 2006, durée : 84 mn — 25,00 €.

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