Stéphane Barsacq, Mystica

De la mort de Dieu

Stéphane Bar­sacq, édi­teur, essayiste (Rim­baud, Simone Weil, Cio­ran), écri­vain, brouille les genres et la sagesse admise avec Mys­tica. S’y insi­nuent bien des para­doxes contre la mort qui nous est don­née et pour une renais­sance. Cer­tains les juge­ront intem­pes­tifs puisqu’ils visent à retour­ner notre vision du monde en un ensemble de pen­sées et d’aphorismes, de média­tions pour la vie au nom d’une emprise ou une emphase par­ti­cu­lière.
Face à la perte et l’abandon, ces textes deviennent une lutte libre. La phé­no­mé­no­lo­gie de l’auteur et sa trans­for­ma­tion exis­ten­tielle impliquent de ne rien subir. Elle fait poindre un invi­sible de la pen­sée. L’auteur la condense en un tel corpus.

La dis­pa­ri­tion de Dieu y est “incar­née”. Mais sur­tout rap­pelle à sa pré­sence afin de sor­tir d’une qua­dra­ture que l’auteur, dans le mou­ve­ment per­ma­nent de son livre et ses mar­queurs intenses, pré­cise : « L’homme s’épuise en absolu quand Dieu se tue dans l’homme. (…) Chaque fois que nous nous sen­tons être, Dieu meurt et nous ten­dons à Dieu”.
Tel est l’enjeu com­plexe du pro­pos. A par­tir de la “Céleste ago­nie”, la mort de l’existence est décli­née en 9 temps forts. Elle ramène à un appel à une expé­rience où l’être peut se repen­ser dans son rap­port à lui-même, à l’autre, au monde selon diverses “phos­pho­res­cences”. Elles donnent à voir quelque chose qui nous éclaire mais qui a disparu.

Ce qu’a tissé depuis plus d’un siècle le “Dieu est mort” de Nietzsche, Bar­sacq le défait ou le “reprise” pour mettre en lumière ce que le phi­lo­sophe a fait peser sur le monde jusqu’à deve­nir un élé­ment non d’émancipation mais de per­mis­si­vité dou­teuse. Au nom de cette dis­pa­ri­tion, cer­tains se sont crus auto­ri­sés, per­mis de réin­ven­ter divers types de vio­lences débri­dées (et ce n’est pas un hasard si les bour­reaux nazis se sont ser­vis de cette vision somme toute bien accom­mo­dante).
Bar­sacq montre ce qui se cache sous cette mort, cette fin de la foi qui indique a priori une liberté mais qui, de fait, biaise la ques­tion. Existe la remise en ques­tion de la vision de monde qui a trouvé en l’assertion de Nietzsche une “foi” plus insi­dieuse : celle des reli­gions maté­ria­listes qui vont du culte de dieux dic­ta­teurs (Hit­ler, Sta­line, Mao, etc.), à l’essor des sciences et tech­no­lo­gies qui vien­draient modi­fier notre mort mais en obli­té­rant toute trans­cen­dance. Et ce, pour le seul plai­sir de durer de cer­tains qui, au besoin, ont éli­miné ou éli­mi­ne­ront l’Autre. On ima­gine à ce titre ce que les savants fous de la Sili­cone Val­ley (et son équi­valent chi­nois) peuvent pré­dire et prévoir.

La mort de Dieu n’est donc pas le plus grand signe de liberté même si Dieu sert encore pour beau­coup à la dif­fu­sion de concepts écu­lés et d’armes d’asservissement. Néan­moins, bien “com­pris”, le retour de Dieu pour­rait ampli­fier — en comp­tant sur l’intelligence humaine et non un asser­vis­se­ment à des caté­chismes, doxas, emprises — l’amour comme élé­ment de désir fon­da­men­tal.
Ainsi, l’auteur en appelle à un cadre inédit. Il s’agit d’en prendre la mesure pour mettre à jour une avan­cée moins contre Dieu que contre ceux qui l’abolissent où le réduisent à un bras armé séculier.

Certes, ce pari sur l’homme peut paraître uto­pique. Mais, en décons­trui­sant nos façons de pen­ser et les struc­tures tra­di­tion­nelles des idéo­lo­gies spi­ri­tuelles, l’auteur sort de la dua­lité immanence/transcendance. Il ne s’agit plus d’un simple retour en arrière mais de fis­su­rer ce que l’émancipation feint de pro­po­ser.
Dès lors, et sachant comme l’écrit l’auteur que « Toute vie est une vie don­née, notre vrai pays n’a jamais été de ce monde », le but est plus de retrou­ver la part de divin qui nous tient debout plu­tôt que de se sou­mettre à un Dieu éta­lonné par les idéo­lo­gies et pour le seul pro­fit — selon la vieille for­mule — des pro­prié­taires du sabre et du gou­pillon ou autres usten­siles plus fourches cau­dines que sym­boles sacrés.

jean-paul gavard-perret

Sté­phane Bar­sacq, Mys­tica, Nunc, Édi­tions Cor­le­vour, 2018, 154 p.

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