Rose-Marie Crespin (Travaux récents) et les épreuves de porosités — entretien avec l’artiste

Rose-Marie Cres­pin pos­sède une pro­pen­sion ori­gi­nale et géné­reuse à réin­ven­ter le monde. Elle reste  à son écoute et sous tous ses aspects selon les caprices du temps et de la mémoire. L’artiste sait ouvrir la vision car elle-même demeure dis­po­nible à l’inconnu sans perdre le propre mys­tère qui l’habite. D’où la dimen­sion par­ti­cu­lière de ses mytho­lo­gies quo­ti­diennes et hors temps entre humour et gravité.

Entre­tien : 

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La pro­messe de res­sen­tir…

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?

Je crois que leur pré­sence sourde m’aide à construire mon tra­vail.

A quoi avez-vous renoncé ?

J’ai renoncé à être une aven­tu­rière ! Je suis comme cer­tains artistes qui voyagent assis à une table, dans une drôle d’immobilité.

D’où venez-vous ?

J’aime à pen­ser que la pro­di­gieuse Arte­mis en sait plus que moi à ce sujet.

Qu’avez-vous reçu en dot ?
Une mon­tagne stra­ti­fiée, consti­tuée d’innombrables apports humains et bio­lo­giques sur laquelle je me repose, cultive, dis­pose et réin­vente.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Ecou­ter le cla­po­tis dis­sipé d’une averse sur une lucarne.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres artistes ?
Peut-être mon rap­port au temps. Je ne le comp­ta­bi­lise pas. Je cherche à être absor­bée par lui, en tra­vaillant avec un mini­mum de moyens (outil /matière) dans la répé­ti­tion de gestes simples.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
C’est un ensemble d’images conte­nues dans le “Larousse des grands peintres”, offert par mon père à ma mère. Il était posé à demeure sur un buf­fet et consul­table à merci. Ce fût mon pre­mier contact avec un domaine artis­tique.

Et votre pre­mière lec­ture ?
Un bel album bleu, doté de demi-pages inter­ca­laires qui agencent savam­ment le sus­pens entre l’image et l’écriture … une his­toire de petites sou­ris qui finissent par ren­trer dans un tableau. Mal­heu­reu­se­ment, je n’en ai que la mémoire visuelle. Le titre et l’auteur ont été oubliés…

Quelles musiques écoutez-vous ?
J’aime tra­vailler en écou­tant de la musique. Mes goûts sont éclec­tiques. Ils vont vers des com­po­si­teurs et des inter­prètes comme Phi­lip Glass, Jean-Sébastien Bach, Beth Gib­bons, Rose­mary Stan­ley, Nina Simone, Stan Getz et bien d’autres. La liste serait trop longue …

Quel est le livre que vous aimez relire ?

“Les fleurs du mal de Bau­de­laire.” J’aime pico­rer dans ce recueil. Ma mémoire est pas­sa­ble­ment capri­cieuse, me per­met­tant de redé­cou­vrir ces vers magni­fiques à chaque nou­velle lec­ture.

Quel film vous fait pleu­rer ?

Le cinéma arrive aisé­ment à me mettre en empa­thie, à me mettre la larme à l’oeil. La der­nière en date a été ver­sée devant “L’incroyable his­toire du fac­teur Che­val” de Nils Taver­nier pour la tra­gé­die qu’engendre la perte de proches. “Les ailes du désir” de Wim Wen­ders pour la figure de l’ange Damiel qui cherche à s’incarner … “La nuit du chas­seur” de Charles Laugh­ton pour la beauté de ses images et de sa nar­ra­tion, “la Séparation”de Asghari Farhadi , pour la figure du père qui cherche à construire l’indépendance de sa fille … “Mélan­cho­lia “ de Lars van Trier pour le trouble devant l’inéluctable. Les Monty-Pyton et de nom­breux films cana­diens pour leur pro­pen­sion à me faire pleu­rer de rire.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Une incon­nue que je côtoie depuis toujours.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Si je devais écrire, ce serait sans doute à Mon­sieur Jean-Claude Amei­sen pour le remer­cier vive­ment de sa contri­bu­tion à la vul­ga­ri­sa­tion scien­ti­fique et à la construc­tion d’une pen­sée trans­ver­sale. Son émis­sion est une source d’inspiration, une source de savoirs .

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Je ne connais pas Kyoto mais cette ville se prête, pour moi, à bien des construc­tions ima­gi­naires.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Cette sen­sa­tion de proxi­mité est assez ambi­va­lente. Elle peut éton­nam­ment, sem­bler être à l’opposé de son propre tra­vail, mais tou­cher très jus­te­ment ma sen­si­bi­lité : les ins­tal­la­tions monu­men­tales de Richard Serra; l’ épure de Kat­su­hito Nishi­kawa, l’étonnante étran­geté de Patrick Neu, “Les archi­pels de paco­tilles” de Phi­lippe Favier … l’épanouissement dans la contrainte d’un seul sujet de Vil­helm Ham­mer­shøi … le champ des pos­sibles dans le tracé pro­posé par le corps, par son ampli­tude, sa force et sa ges­tuelle dans “Rosas” de Anne Teresa de Keers­mae­ker …

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?

Des outils à la Boris Vian : une che­villette, un calibre à limite, un ratatine-papier, une mou­li­nette à bois, un démonte-obus, une épui­sette, une équerre à cou­lisse…

Que défendez-vous ?
L’idée d’un tout indis­so­ciable et com­plexe.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Un élan dés­in­té­ressé qui, dans le meilleur des cas, trans­cende, déploie une géné­reuse ins­pi­ra­tion, un dépas­se­ment de soi, une fan­tai­sie inven­tive…

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
J’aime cette dérision.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Pour­quoi avez-vous répondu à ces questions ?

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire;com, le 16 sep­tembre 2019.

1 Comment

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One Response to Rose-Marie Crespin (Travaux récents) et les épreuves de porosités — entretien avec l’artiste

  1. Villeneuve

    Sans émo­tion jetable mais avec empa­thie j’adore Rose-Marie avec laquelle je par­tage ciné­phi­lie citée , poé­sie de Bau­de­laire et même ce sou­hait :
    “Si je devais écrire, ce serait sans doute à Mon­sieur Jean-Claude Amei­sen pour le remer­cier vive­ment de sa contri­bu­tion à la vul­ga­ri­sa­tion scien­ti­fique et à la construc­tion d’une pen­sée trans­ver­sale. Son émis­sion est une source d’inspiration, une source de savoirs .“
    Et sans oublier ( n’écoutons pas Angèle ) le talent de madame Crespin !

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