Novélisation inédite en poche d’une pièce de théâtre d’Agatha Christie.
Quand on pense éditions du Masque, on pense Agatha Christie. La Reine du crime, mère d’Hercule Poirot et de Miss Marple, a été à l’origine de la vocation des nombreuses écrivaines britanniques du genre, et a suscité l’engouement de nombreux lecteurs d’alors jusqu’à aujourd’hui. Elle a écrit de véritables romans de gare — dans le bon sens du terme — qui sont autant de petits bijoux dédiés à l’art du crime parfait, à l’instar de ceux qu’a pu écrire un John Dickson Carr, lui aussi édité au Masque. Mais Agatha Christie n’était pas uniquement romancière. Elle était aussi attirée par la scène. Comme tout auteur anglais de cette époque. Agatha Christie a assis son succès sur la théâtralisation de ses romans à succès comme ses Dix petits nègres ou Témoin à charge. Mais elle a aussi écrit de véritables pièces qui ont été, pour la plupart, novélisées par Charles Osborne et parmi lesquelles on citera Black Coffee, en 1930, et La Toile d’araignée, en 1954.
En 1958, après l’échec de Verdict — pièce qui fut pourtant jouée dans le sillage du phénoménal succès de La Souricière et de ses 2239 représentations ainsi que le mentionne, en postface, la traduction d’un extrait de The Life and Crimes of Agatha Christie, livre signé Charles Osborne justement, qui est aussi l’un des biographes attitrés de la grande dame — en 1958 donc, Agatha Christie ne perd pas son temps ni son moral. Elle décide de repartir de l’avant en réutilisant la recette qui a toujours fait fureur. Le Visiteur inattendu sera donc une pièce des plus classiques, écrite en quatre semaines ! Et le succès sera au rendez-vous. Moindre que pour La Souricière cependant, avec “seulement” 604 représentations…
Alors l’intrigue, puisqu’il faut en parler. Un homme en fauteuil roulant, véritable despote familial, est retrouvé mort par un inconnu dont la voiture a embouti un arbre dans le brouillard du pays de Galles. La femme du mort est à ses côtés, avec le revolver du crime. Tout l’accuse, et, elle-même, est prête à se livrer à la police. Mais ce n’est pas du goût de notre visiteur inattendu qui l’aide à falsifier des preuves et à créer un suspect idéal en la personne d’un Canadien qui poursuivait le mort de sa rancune depuis deux ans : le défunt, au volant de sa voiture, avait écrasé l’enfant en toute impunité. Or, cette femme n’a pas tué son mari. Elle est persuadée que le coupable est son amant, un homme politique avec beaucoup d’avenir. Lui-même croit qu’elle est bien la meurtrière. La mère du mort, dont les dernières heures sont proches, s’accuse elle aussi. Ainsi que le demi-frère, être un peu simplet et tout heureux de se retrouver le seul homme de la maison. L’infirmier du mort est un exécrable maître-chanteur alors que la gouvernante reste dévouée à la mémoire de feu son maître. Mais tous ont un point commun : ils prennent comme confident cet étrange inconnu. Et la police dans tout ça ? Elle enquête - et bien - par l’entremise d’un lieutenant et de son sergent, être aussi merveilleux qu’atypique et qui ne cesse de citer des écrivains célèbres à tout bout de champ.
Comme toujours, avec Agatha Christie, la solution est tordue et alambiquée. Mais quand on connaît un peu ses stratagèmes, on trouve assez facilement la clé de l’enigme. Car, avant tout, les romans — on est forcé d’appeler Le Visiteur inattendu un roman après la novélisation de Charles Osborne — sont des puzzles (à lire à l’anglaise !). Notre attention tient en la découverte, le plus rapidement possible et avant tous les éléments du coupable. Il n’en demeure pas moins une grande déception. Les dialogues n’ont sûrement pas été modifiés, et tout se déroule comme une pièce de théâtre. Il aurait été plus judicieux d’éditer la pièce telle qu’en elle-même. Car mis à part les dialogues, plutôt vivants mais sonnant faux dans un roman, le reste — narration et descriptions — est fade et plat. Est-ce par la faute d’un Charles Osborne (trop) respectueux de la lettre des textes de la Reine du crime ? On en doute. Ne s’est-il pas chargé d’une novélisation, se mettant par là même au-dessus d’un tel sentiment ? Cette parution ravira néanmoins les inconditionnels d’Agatha Christie. Les plus rigoureux, amateurs de ses romans mais aussi de théâtre, regretteront que la pièce ne soit pas éditée, ni jouée (en tout cas sur les planches parisiennes). Il est loin, l’heureux temps d’Au théâtre ce soir et de ce jour d’octobre 1970, le premier, qui avait vu la diffusion de Dix petits nègres, adapté par Pierre Brive et Meg Villars, et mis en scène par Raymond Gérôme…
Dans Meurtres en scène (Geneviève Latour et Jean-Jacques Bricaire aux éditions de l’Amandier — novembre 2002, ouvrage qui référence les pièces policières adaptées à la scène) on peut lire, à propos de La Souricière, la pièce aux 2239 représentations londoniennes :
Le Théâtre a ses mystères. Lorsque les représentations de La Souricière ont été annoncées, tous les journalistes de la rubrique théâtrale ont fait part de leur enthousiasme. On allait enfin voir à Paris la pièce qui se jouait à Londres depuis 19 ans sans interruption. Et personne ne s’est aperçu — pas même aucun critique ! — que cette pièce avait déjà été représentée à Paris, 14 années auparavant, au théâtre de la Renaissance, sous le titre Trois souris aveugles dans une adaptation de Pierre Brive [déjà] et Pol Quentin.
Quand le mystère se mêle des œuvres de la Reine du crime elle-même…
julien védrenne
Agatha Christie, Le Visiteur inattendu (adapté par Charles Osborne et traduit de l’anglais par Pascal Aubin), Éditions du Masque (n° 2499), mars 2006, 254 p. — 5,20 €. |
Bonjour monsieur le blogueur !
Merci pour avoir récapitulé la liste des adaptations thêatrales de chère écrivain britanique.
Est-ce vrai que Le Visiteur inattendu a été écrit en quatre semaines ? En ce moment,je lis ce volume qui se différe d’autres romans policiers par l’excentricité du début ( La négociation entre l’assassin et le témoin).