Léon-Paul Fargue, Paris Nabi : Bonnard, Denis, Vuillard et les autres

Matrice pic­tu­rale

Léon Paul Fargue, dans son souci constant de ras­sem­bler pein­ture et poé­sie, a per­mis de don­ner aux mou­ve­ments d’avant-garde et plus par­ti­cu­liè­re­ment aux Nabis la place qui leur reve­nait. Et ce, dès sa jeu­nesse et au fil de ses insou­ciances : “Avec Jarry nous séchions quelques cours, et nous allions dans Paris, à la décou­verte (…) com­men­cions aussi à aller voir de la pein­ture chez des peintres et dans des expo­si­tions. Dans l’une d’elles, nous ren­con­trâmes Gau­guin”. C’est le début d’une longue his­toire.
Fargue est déjà et à la fois “pié­ton de Paris” et Tan­crède par anti­ci­pa­tion. Il découvre la pein­ture en train de se faire. Et ses chro­niques l’illustrent par­fai­te­ment à la char­nière de deux siècles et au moment où l’art subit un ren­ver­se­ment capital.

L’impres­sion­nisme a fait son temps. Et avec Gau­guin les Nabis lui suc­cèdent. Aux effluves fait place une nou­velle contes­ta­tion des modes de repré­sen­ta­tion du réel grâce aux aplats de cou­leurs vives et au trait entou­rant les contours du des­sin. Toulouse-Lautrec et les autres brisent les contraintes imi­ta­tives de la pein­ture et sont les pre­miers à poser la ques­tion de l’autoréférentialité d’un art  même si les Nabis ne sup­priment pas le réfé­rent au pro­fit de l’abstraction pure.
Cela vien­dra entre autres avec les supré­ma­tistes quelques années plus tard.

Fargue n’est d’ailleurs pas le seul écri­vain à recon­naître les Nabis. Il sont défendu aussi par Henri Caza­lis et Jean Lahore qui donne son nom (tiré de l’hébreu) au mou­ve­ment. Ce mot désigne celui qui par ses qua­li­tés d’orateur semble appelé par l’Esprit et ins­piré par Dieu. Félix Val­lot­ton, Denis, Paul Séru­sier vont le cher­cher moins dans la pen­sée juive que du côté de l’Orient ou dans des tra­di­tions  éso­té­riques, orphiques et théo­so­phiques.
A l’époque pre­mière du mou­ve­ment,  la parole de Fargue ne fait pas le poids face aux cri­tiques d’art grâce aux­quelles les Nabis vont obte­nir une recon­nais­sance. Gabriel-Albert Aurier fait bien le tra­vail et des revues telles que le “Moder­niste illus­tré”, le “Mer­cure de France” et la “Revue blanche” assurent la pro­mo­tion du mou­ve­ment synthétiste.

Mais Fargue s’inscrit très vite dans sa défense et illus­tra­tion au moment où ses nou­veaux créa­teurs  tendent la main aux poètes et aux dra­ma­turges. Le Théâtre libre d’André Antoine est leur pre­mier champ d’expérience avant que la désaf­fec­tion pour le théâtre sym­bo­lique et réa­liste les oriente vers le “mini­ma­lisme” d’Alfred Jarry avec Ubu roi.
Les liens entre ces peintres et Fargue devient plus fort et celui-ci pro­pose ses pro­grammes de lec­ture d’un tel mouvement.

L’auteur est fas­ciné par la jeu­nesse et la nou­veauté colo­rée des oeuvres des Nabis. Sans se sou­cier des voix qui se lèvent pour cla­mer haut et fort le mépris envers de tels “défor­ma­teurs”, le poète les défend. Il met en évi­dence com­bien en dehors du natu­ra­lisme et du sym­bo­lisme, les Nabis inventent une sim­pli­cité qui renonce au réa­lisme et à l’illusionnisme.
Pour lui et en renouant avec une pureté ori­gi­nelle, le pri­mi­ti­visme nabi ramène à une vision intense qui refuse ce que Fargue lui-même rejette dans son écri­ture : la syn­taxe alam­bi­quée, la pro­fu­sion d’épithètes métaphoriques…

Le poète et chro­ni­queur rap­pelle com­bien de tels artistes reviennent à une “matrice pic­tu­rale” dans des ara­besques ou des plaques de cou­leurs et dans la manière de sty­li­ser la ligne figu­ra­tive en lui sur­im­po­sant une empreinte de “fan­tai­sie”. Appa­raît une nou­velle  fonc­tion syn­thé­tique de l’art qui per­met de conci­lier les objec­tifs dis­tincts, là où le rythme reste essen­tiel.
Fargue y est sen­sible, d’où ses textes où lit­té­ra­ture et pein­ture se ren­voient l’une l’autre leurs besoins d’innovation.

jean-paul gavard-perret

Léon-Paul Fargue, Paris Nabi : Bon­nard, Denis, Vuillard et les autres, illus­tra­tions de Mau­rice Denis, Post­face de Laurent de Frei­tas, Fata Mor­gana, Font­froide le Haut, 2019, 80 p. — 15,00  €.

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