Collectif, Les Cahiers de Tinbad, n°7

Mettre cer­tains cau­che­mars et rêves en lumière

Les cahiers de Tin­bad pour­suivent leur tra­vail de fond autour de la lit­té­ra­ture et de l’art (et ici du cinéma) loin de toute pré­emp­tion idéo­lo­gique tou­jours nocive à la créa­tion. Pour preuve, dans ce numéro 7 L-F Céline, Dziga Ver­tov, Witold Gom­bro­wicz voi­sinent avec les auteurs et artistes d’aujourd’hui les plus signi­fi­ca­tifs : Per­rine Le Quer­rec, Jacques Cauda par exemple.
Textes et auteurs de ce cor­pus prouvent qu’une oeuvre est le fruit de toute une vie et que les auteurs qui ne veulent don­ner le change qu’au pré­sent causent leur perte et la nôtre.

Basquin l’illustre en mon­trant l’originalité de Dziga Ver­tov en sa capa­cité d’inventer un cinéma “comme der­nier refuge à l’utopie” et ce même si l’artiste se prit les pieds dans une idéo­lo­gie qui lui fit payer ses avan­cées. A sa manière, Céline ici lui répond dans sa vision du com­mu­nisme dont les maîtres à pen­ser n’ont fait qu’en rem­pla­cer d’autres “sur l’estrade des sou­te­neurs”. Dès 1936 Céline (à qui Claire Fou­rier rend grâce à la grâce) avait tout dit. Mais sa voix allait être jugée irre­ce­vable et la farce mar­xiste s’imposa pen­dant de belles décen­nies. L’idéologie fran­çaise ne se priva pas de téter le sein nourricier.

Les bonnes occa­sions de devi­ser dans des spé­cu­la­tions dou­teuses ont donc tou­jours la vie dure. Mais Per­rine Le Quer­rec est là pour des­si­ner d’autres fron­tières en redon­nant la main à Hanna H “seule femme Dada” qui lutta contre la mal nazi. Ste­ven Samp­son en décline cer­tains “jeux” du cirque. Chris­tiane Hervé revient au pré­sent pour sus­ci­ter des réveils sans être vic­time du dégoût même lorsque le mal qui rejaillit sous de nou­velles formes anéan­tit la rai­son. Il ne faut se fier ni à l’un ni à l’autre : une cer­taine folie est donc pré­cieuse et raf­fi­née. C’est pour­quoi il faut — comme Pres­chez ici — saluer Cauda. Il porte haut la vio­lence contre l’obscurité dans le désir de pein­ture de ses contre-portraits où l’on se voit mieux en consi­dé­rant les autres.
Ce ne sont là que quelques feuillets épars déta­chés du tronc de ce beau numéro. Il per­met aussi de révi­ser autant Kafka que Godard, Gia­co­melli que Hit­ch­cock, tous ces géniaux marion­net­tistes qui dénon­çaient les spé­cia­listes de l’art de tuer. Chaque texte devient une flèche empoisonnée.

Face aux gron­de­ments sourds, des voix humaines s’élèvent pour qu’il ne nous reste pas le seul loi­sir de pleu­rer. Sans se prendre for­cé­ment au sérieux, les auteurs mettent cer­tains cau­che­mars et rêves en lumière his­toire de nous évi­ter de vivre dans le noir.

jean-paul gavard-perret

Les Cahiers de Tin­bad, n°7, Edi­tions Tin­bad, Paris, 2019.

5 Comments

Filed under Arts croisés / L'Oeil du litteraire.com, cinéma, Poésie

5 Responses to Collectif, Les Cahiers de Tinbad, n°7

  1. Preschez

    Merci cher Jean– Paul Gavard– Per­ret pour vos lec­tures croi­sées, en une seule et l’autre, super­be­ment pro­noncė, bravo ! en ami­tié de Domi­nique Preschez

  2. tristan felix

    Pers­pec­tives et échap­pées hors-norme pour oxy­gé­ner une pen­sée nécro­sée par les pou­voirs, qui ne sont que des désirs de détruire.

  3. Jacques Cauda

    Merci très cher Jean-Paul dit le divin! Je t’embrasse, Jacques

  4. Guillaume Basquin

    Lec­ture au scal­pel. Merci !

  5. Philippe Thireau

    C’est tou­jours un plai­sir de décou­vrir un texte de Gavard-Perret : le souffle ajouté au souffle, une manière puis­sante de rendre compte du labeur. Et merci d’avoir si fort deviné Cauda : “Il porte haut la vio­lence contre l’obscurité (…).” C’est bien fina­le­ment le pro­gramme que les auteurs gra­vi­tant autour des “Cahiers” font leur. Une belle formule.

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