Patrice Delbourg, Fils de Chamaille

Sans foi ni loi

Patrice Del­bourg donne un sacré coup de pied dans la four­mi­lière de l’édition. Son héros (Aimé Rati­chaud) pos­sède une dent dure. Il a de qui tenir : sa mère indi­gnée (La Cha­maille) lui a donné l’habitude de mordre. Et l’os à ron­ger de celui qui cherche encore et déses­pé­ré­ment à être édité s’incarne dans la per­sonne d’un édi­teur aussi “fre­lu­quet” que frais émoulu des écoles de ges­tion. Il est devenu la tête pen­sante d’une mai­son d’édition dont l’objet est l’absence de toute ambi­tion édi­to­riale digne de ce nom.
La farce va mal tour­ner. Ou, à l’inverse, bien sui­vant la par­tie pre­nante. Tout s’y écrit dans un souffle comique qui ren­verse les codes et remet en jeu et en vie la fic­tion comme mou­ve­ment d’apparition. Sur­gissent des éma­na­tions voire des explo­sions béné­fiques (même si Gae­tan Mali­nois en fait les frais). Mais c’est une manière de faire payer pour les autres celui qui n’est en aucun cas leur lam­piste mais un par­fait alter-ego.

Delbourg fait souf­fler la tem­pête comique contre l’asphyxie de la langue vivante. L’édition telle qu’elle devient la pol­lue. C’est pour­quoi Rati­chaud engage une course de vitesse contre la fer­me­ture sta­bi­li­sée des signi­fi­ca­tions qui n’offrent du monde que des chro­mos. La matière du roman devient un pro­duit anti-coagulant.
Celui qui “tue” le poète ins­piré va deve­nir l’homme qui expire. Le livre tient en consé­quence un dis­cours par­ti­cu­liè­re­ment dur mais tout passe par l’humour le plus cor­ro­sif qui soit. Rati­chaud n’est pas nimbé de l’aura abso­lue d’un héros. Néan­moins,  son incar­na­tion — et de manière plus drôle que démons­tra­tive — per­met d’exposer les enjeux de la lit­té­ra­ture digne de ce nom.

Par la raille­rie, le per­si­flage le tout petit monde de l’édition (mais pas seule­ment) est décapé. Se per­çoit le creu­se­ment d’une voix nar­ra­tive. Elle emporte la nuée des figures, des images, des pen­sées.  Et la langue de Del­bourg devient un souffle impur, désac­cordé qui nous informe du monde boi­teux.
Repre­nant en sub­stance la fameuse for­mule de Lacan “Là où ça parle, ça jouit, et ça sait rien”, Del­bourg rap­pelle que, à l’inverse de toute posi­tion dolo­riste, écrire n’est pas un mar­tyr, ni une radi­cale ascèse. Mais ce n’est pas pour autant une par­tie de plai­sir d’autant que l’éditeur est là pour impo­ser ses règle dou­teuses tis­sées d’une forme de bar­ba­rie ouverte à l’atomisation de la littérature.

Voilà ce sur quoi l’auteur s’appuie pour offrir la morale concoc­tée par Rati­chaud de manière radi­cale. Post mor­tem, la Cha­maille sera fière de son fils. Celui-ci crée un gai savoir lucide et cruel au plus haut point. Manière de faire tom­ber au fur et à mesure que le livre avance bien des illu­sions affec­tives, amou­reuses, convi­viales, sociales, idéo­lo­giques, voire épis­té­mo­lo­giques.
En déses­poir de sagesse mais par­fai­te­ment jovial, cruel et enjoué,  Rati­chaud aura fait le tra­vail. C’est un défi à bien des acca­ble­ments nos­tal­giques au nom d’une fable forte en érein­te­ments et à sa vic­toire spo­ra­dique, fugace, sans doute déri­soire mais qui fait — et de manière eupho­rique — tour­ner la tête aux arti­fices rhétoriques.

Delbourg  en crée d’autres, déca­lés et oppo­sés aux rituels consti­tu­tifs que l’édition impose sous ses fourches caudines.

jean-paul gavard-perret

Patrice Del­bourg, Fils de Cha­maille, Edi­tions Le Cas­tor Astral, La Pré Saint Ger­vais, 2019, 304 p. — 18,00 €.

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