Osamu Tezuka, Demain les oiseaux

Une para­bole sur la dégé­né­res­cence de l’humanité menée de main de maître

A par­tir d’une idée qu’on pour­rait juger au moins bizar­roïde, voire un brin déjan­tée, Tezuka pro­duit dans ce manga hors norme, fai­sant auto­rité depuis les années 70, une réflexion impi­toyable sur le deve­nir de l’homme une fois les oiseaux deve­nus l’espèce domi­nante sur Terre.

Dans l’oiseau tout est bon

Tout a com­mencé par une poi­gnée de piafs incen­diaires, las­sés de l’omnipotence des hommes et de leur mépris à l’égard des vola­tiles en tous genres — deve­nus intel­li­gents grâce à une sub­stance répan­due sur la Terre par une civi­li­sa­tion extra­ter­restre (sic). Mais bien­tôt ce sont des esca­drons entiers d’oiseaux pyro­manes qui sèment la dévas­ta­tion par­tout : c’est désor­mais la guerre totale entre les humains et les oiseaux.
Jusqu’au jour où, ter­ras­sés par le nombre des enne­mis ailés, les humains sont réduits à la condi­tion d’esclaves et retournent à l’âge de pierre… Mais la roue du rap­port de forces, ce moteur de l’histoire, tourne (on n’osera dire qu’elle bat de l’aile) et, fidèle en cela à l’enseignement de la dia­lec­tique hégé­lienne du maître et de l’esclave, les nou­veaux maîtres du monde repro­duisent rapi­de­ment les tra­vers de ceux qu’ils ont vaincu la veille. S
urgissent alors des conflits fra­tri­cides entre les dif­fé­rents clans au sujet de la reli­gion, du pou­voir de l’argent.
Dans tout Para­dis exta­tique som­meille un enfer résur­gent c’est bien connu.

La fin de l’humanité est pour demain

Dans un constat très pes­si­miste, quelque part entre Les Oiseaux d’Hitchcock, La pla­nète des singes et La ferme des ani­maux, Tezuka le fata­liste semble mon­trer une Terre condam­née à être le théâtre des inep­ties de races soi-disant évo­luées.
Cet épais manga d’un seul ton­neau passe au crible, pour la plus grande joie sati­rique du lec­teur (palme d’or à la réécri­ture de l’avènement chris­tique avec le mes­sie Pololo, chp. 12), l’hypocrisie des mœurs et des poli­tiques, les pro­blèmes de l’écologie ou les hor­reurs de la guerre. Enchâssé en say­nètes variées, menées paral­lèment aux stades de la construc­tion de la civi­li­sa­tion humaine, le récit qui alterne les visions du vaincu et du vain­queur sup­porte aisé­ment une lec­ture phi­lo­so­phique au sens large même si on regrette que le gra­phisme soit par­fois relâ­ché. Tou­jours est-il que les pos­tures de ces oiseaux deve­nus bipèdes méritent le détour.

Cette para­bole de la dégé­né­res­cence de l’humanité menée de main de maître revi­site de haute volée les époques, les his­toires et les mythes humains (le Christ, l’histoire de Géro­nimo, Joh­na­than Livingt­sone le Goé­land de Richard Bach ou encore la romance de Roméo et Juliette…). Un one-shot intense qui donne son pesant d’or séman­tique à la for­mule “Oiseau de malheur” !

fre­de­ric grolleau

     
 

Osamu Tezuka, Demain les oiseaux (trad. Patrick Hon­noré), 1ère éd. 1971, Del­court 2007, 327 p. — 10,50 €.

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