Pierre Patrolin — ou son narrateur — a décidé d’arrêter d’écrire. Mais que le lecteur se rassure, l’auteur ne l’a pas encore fait. Et son livre reste certainement un des plus beaux et réussis de la rentrée. Il existe là une dérive, une descende, un abandon façon d’éveillé, façon d’endormi comme aurait dit Michaux. L’abstinent est drôle, touchant et dolent. Sa maladie de l’écriture le pousse, dès qu’il a déchiré une page en se promettant de ne plus y toucher, à remettre ça. Chaque fois, c’est en substance : « garçon l’addiction ! »
Dès lors, entre l’histoire qu’il concocte, ses lectures et ses actes de contrition, la vie va et le work in progress de même. D’autant que l’auteur s’est aperçu qu’en s’interdisant d’inventer une fiction il se condamnait « à pouvoir seulement énoncer l’ébauche d’un récit ». Qu’à cela ne tienne : vogue l’histoire d’une rivière sans retour ou du fleuve amour. Elle se faufile en méandres dans l’espace mental et graphomaniaque du velléitaire endurci.
D’autant que tout est bon pour l’écrivaillon (mais qui vaut bien mieux que ça) : renonçant au crayon, il passe au stylo puis à des technologies plus modernistes afin de raconter l’histoire de la si reine qui « reste longtemps immobile dans l’eau, les fesses dans la rivière ». Elle semble ne pas avoir autre chose à faire, fidèle en cela à son narrateur qui, d’une lecture et d’un verre aux autres, poursuit en fidélité à Barthes un récit qui est une grande phrase ou une grande phrase qui est un petit récit.
Force lui est de constater, au fur et à mesure de l’écriture, qu’il avance en textuographie en s’enrichissant sans cesse de ses lectures mais ce qui ne va pas sans avanies. Qu’une femme apprenne à jouir dans un de ces grapillages livresques lui fait perdre le fil, si bien que la mule de son récit avance tant bien que mal jusqu’à ce qu’une fin imprévue arrive. Mais elle ne clôt pas pour autant le livre.
Car le réel existe avec Jacqueline l’aimante, un traitement de texte qui fait parfois des siennes et où la plume qui le remplace sèche. D’où certaines pertes sèches et d’autres dans le lit de la rivière jusqu’à ce que, enfin, tout finisse comme cela a commencé : en queue de poisson — ce qui est normal pour un roman en dérive.
Et l’exercice de la citation permet de tirer le rideau. Et ce, au moyen de deux livres forcément phare : « Le Dénouement » et « Le Monde comme volonté et comme représentation ». A l’aube du néant plus ou moins caressé, Schopenhauer est une aubaine. De plus, quand le livre se termine nous sommes rassurés : Pierre Patrolin va continuer à en écrire. Ce qui est terrible pour lui et parfait pour le lecteur.
jean-paul gavard-perret
Pierre Patrolin, J’ai décidé d’arrêter d’écrire, P.O.L éditions, Paris, 172 p. — 17, 00 €. A paraître le 4 octobre 2018.