Jaccottet traducteur de Rilke
Dans les poèmes — traduits par Jaccottet et de l’époque des « Elégies de Duino » et de « Délaissé sur les flancs des montagnes du cœur » — l’homme est « hors d’abri », exposé au dehors sans pouvoir trouver d’adéquation entre l’univers et monde intérieur. C’est pour l’auteur — avant l’épisode Lou Andreas-Salomé — le moment de la traversée de doutes et des angoisses.
Les hommes habitant un monde sans Dieu ne peuvent aller à l’unisson « comme les oiseaux migrateurs, compréhensifs et prévenus ». Et d’ajouter : « c’est un étang indifférent qui reçoit notre chute. » Mais Rilke tente déjà par la parole poétique de rétablir un lien entre l’homme et le monde.
Peu à peu, pour l’auteur, le caractère passager de la vie rend un accord possible entre le dedans et le dehors par la poésie. Elle devient la réelle maison de l’être. Il s’agit alors de célébrer la terre et les choses même en s’adressant à « l’ange » qui, passant librement du monde des vivants à celui des morts, ignore néanmoins la capacité que recèle l’homme à produire des « choses simples, celles qui nous appartiennent tout près de nos mains et dans le regard ». Sans être supérieur à l’ange, il affirme ainsi son existence en créant la beauté.
Pour Rilke, la poésie opère le passage de la chose étrangère, coupée de l’être, à un objet façonné par l’intensité du regard intérieur. Existe là un socle absolu que seuls sans doute les idéalistes rêvent d’atteindre. Force est de se demander si Rilke n’écrit pas que pour eux comme pour les « élégiaques ». Il sait comme Baudelaire que ce n’étaient que des « canailles ».
En ce sens, l’objectif est louable. Mais reste qu’un tel compagnonnage poétique peut sembler une sorte de vue de l’esprit, une prise plus mentale que réelle. Et ce même si Jaccottet donne une dimension plus terrestre à la poésie rilkéenne. Pour le traducteur comme pour Goethe (et Freud plus tard) au commencement n’est pas le Verbe mais le réel. C’est pourquoi sa traduction « rabat » judicieusement le poème vers les pierres et les sables illimités.
jean-paul gavard-perret
Rainer Maria Rilke, Exposé sur les montagnes du cœur, Poèmes choisis et traduits par Philippe Jaccottet, Choix et traduction de Philippe Jaccottet, Fata Morgana, 2018, 120 p.
Le dernier paragraphe me semble une juste vue. Après tout le poète appartient au “monde interprété” et ne peut donc proposer qu’une “interprétation” du monde. Merci pour ce bel article. Murielle Compère-Demarcy
Les mots de jean-Paul Gavart-Perret à propos de“Exposé sur les montagnes du coeur”: Quand on s’appelle RILKE ou JACCOTTET, il faut bien se mettre à leur niveau de poésie . Ils étaient, d’emblée, hors du “mental“et de la pensée communes .D’où le difficulté à intercepter leur splendides points de vue avec anges de passage.Quant à ” rabattre le poème vers les pierres et les sables illimités”? Quelles pierres? (Nous-mêmes?) Quels “sables illimités” (pas ceux où l’on s’embourbe, j’espère mais ceux qui mènent loin, près des Poètes lumineux, par exemple .Jeanne Maillet
Rilke et Jacottet sont intouchables . Jeanne Maillet le dit si bien à JPGP qui s’affaire en commentaire composé certes de qualité . Mais pour un lycée .
Pourquoi toujours faire compliqué ? Il y a un mystère, dans la vie, en je, au cœur de soi-même et en jeu, dans les situations, dont la connaissance n’est pas réservée à un au-delà intouchable mais qui peut être éprouvé, maintenant, immédiatement, tout de suite. Seulement il faut effectivement pratiquer la politique du saumon : la médiocrité, la bêtise, règnent en maîtresses si bien que les hommes se satisfont d’un usage bas de leur intelligence et leur sensibilité qu’ils mettent au service de leurs peurs et de leurs désirs aussi arbitraires que des enfants. Qui ont vieilli malheureusement ! Osons être humains, être soi-même et utiliser toutes nos ressources pour découvrir le vrai mystère qui est l’âme de chacun et dont la découverte explose toutes les échelles, toutes les conventions..