Jean-François Kervéan, La naissance du sentiment

Sparte comme si vous y étiez !

Gorgo­pho­née, qui attend un enfant, vient de perdre Artys, son époux, mort à la guerre en Arca­die. Son corps repose au Carré des Braves. C’est au cœur de la bataille, dans son der­nier souffle, qu’Artys a vu en lettres lumi­neuses le pré­nom à don­ner à son fils. Il doit s’appeler Aphra­nax.
Seule, “Elle com­mença à par­ler à ce presque-enfant comme s’il était le sien et non la pro­priété de l’État.”. Gor­go­pho­née com­mence à s’isoler, manque quelques repas col­lec­tifs, tra­hit des valeurs de la démo­cra­tie spar­tiate. L’accouchement et l’examen du contrô­leur des nais­sances se passent bien. Mais, quelques temps après, quand elle est seule avec lui, le bébé montre des dif­fi­cul­tés à respirer.

Atta­chée à son enfant, elle décide de cacher ce han­di­cap qui entraî­ne­rait, de facto, son éli­mi­na­tion. Mais la vie est rude à Sparte et Gor­go­pho­née se met hors-la-loi pour cacher l’infirmité de son fils et le gar­der. De plus, comme : “…elle est saine, bien pro­por­tion­née…”, elle doit se rema­rier.
Aphra­nax, à sept ans, doit inté­grer l’agôgé, le dres­sage qui fera de lui un vaillant com­bat­tant. Il vou­drait deve­nir l’un des 300 de la garde royale. Et Xerxès Ier, le roi de Perse, lance la seconde guerre médique…

Avec la société de Sparte et celles d’autres cités grecques, l’auteur rap­pelle que, dès le Ve siècle avant Jésus-Christ, ces peuples enta­maient une aven­ture humaine de cinq siècles avant, hélas, de dis­pa­raître pen­dant presque 2 000 ans au pro­fit de la toute-puissance per­son­nelle de dic­ta­teurs, rois, tyrans…
Que soit à Sparte, puis à Athènes, ces peuples avaient inventé, ins­ti­tué, fait vivre une réelle démo­cra­tie. Celle-ci va per­du­rer jusqu’à la répu­blique de Rome puis la place sera prise, occu­pée par tous les moyens pos­sibles même les plus infâmes, par une constel­la­tion d’egos démesurés.

Sur les talons de Gor­go­pho­née et de son fils Aphra­nax, Jean-François Ker­véan retrace ce qu’était cette société, son fonc­tion­ne­ment, sa struc­ture, les avan­cées humaines qu’elle avait déve­lop­pées. Cepen­dant, il n’omet pas les côtés odieux comme la sélec­tion des enfants, éli­mi­nant, en deux temps, ceux qui pré­sen­taient des mal­for­ma­tions ou des mala­dies. Il pointe aussi des tra­vers tels que l’abandon des arts. “En mille ans, dont cinq ou six siècles de supré­ma­tie, la grande Sparte n’a laissé aucun monu­ment, trente à qua­rante pages de lit­té­ra­ture, quelques sta­tues…
Mais, il sème nombre de traits d’humour, des réflexions cocasses, des situa­tions dro­la­tiques. Ainsi, lorsque Léo­ni­das est élu monarque, son des­tin vient de s’ébranler : “Vers où ? Un gouffre, un triomphe, une marque de cho­co­lat ?

Sparte, et son aura de cité idéale, a fas­ciné avant de tom­ber dans un rela­tif oubli. Mais l’auteur rap­pelle que les pires diri­geants d’Occident, de Maxi­mi­lien Robes­pierre à Lénine, de Napo­léon à Mus­so­lini, d’Hitler à Sta­line…, ont fait réfé­rence à des aspects de cette société, pre­nant ce qui leur conve­nait.
Avec ce livre qui relève à la fois du roman d’aventures, du livre his­to­rique, de l’essai social, Jean-François Ker­véan livre une mine d’informations, une suite de révé­la­tions éru­dites, toutes plus pas­sion­nantes les unes que les autres.

serge per­raud

Jean-François Ker­véan, La nais­sance du sen­ti­ment, J’ai Lu, n° 12024, juin 2018, 320 p. – 8,00 €.

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