Sparte comme si vous y étiez !
Gorgophonée, qui attend un enfant, vient de perdre Artys, son époux, mort à la guerre en Arcadie. Son corps repose au Carré des Braves. C’est au cœur de la bataille, dans son dernier souffle, qu’Artys a vu en lettres lumineuses le prénom à donner à son fils. Il doit s’appeler Aphranax.
Seule, “Elle commença à parler à ce presque-enfant comme s’il était le sien et non la propriété de l’État.”. Gorgophonée commence à s’isoler, manque quelques repas collectifs, trahit des valeurs de la démocratie spartiate. L’accouchement et l’examen du contrôleur des naissances se passent bien. Mais, quelques temps après, quand elle est seule avec lui, le bébé montre des difficultés à respirer.
Attachée à son enfant, elle décide de cacher ce handicap qui entraînerait, de facto, son élimination. Mais la vie est rude à Sparte et Gorgophonée se met hors-la-loi pour cacher l’infirmité de son fils et le garder. De plus, comme : “…elle est saine, bien proportionnée…”, elle doit se remarier.
Aphranax, à sept ans, doit intégrer l’agôgé, le dressage qui fera de lui un vaillant combattant. Il voudrait devenir l’un des 300 de la garde royale. Et Xerxès Ier, le roi de Perse, lance la seconde guerre médique…
Avec la société de Sparte et celles d’autres cités grecques, l’auteur rappelle que, dès le Ve siècle avant Jésus-Christ, ces peuples entamaient une aventure humaine de cinq siècles avant, hélas, de disparaître pendant presque 2 000 ans au profit de la toute-puissance personnelle de dictateurs, rois, tyrans…
Que soit à Sparte, puis à Athènes, ces peuples avaient inventé, institué, fait vivre une réelle démocratie. Celle-ci va perdurer jusqu’à la république de Rome puis la place sera prise, occupée par tous les moyens possibles même les plus infâmes, par une constellation d’egos démesurés.
Sur les talons de Gorgophonée et de son fils Aphranax, Jean-François Kervéan retrace ce qu’était cette société, son fonctionnement, sa structure, les avancées humaines qu’elle avait développées. Cependant, il n’omet pas les côtés odieux comme la sélection des enfants, éliminant, en deux temps, ceux qui présentaient des malformations ou des maladies. Il pointe aussi des travers tels que l’abandon des arts. “En mille ans, dont cinq ou six siècles de suprématie, la grande Sparte n’a laissé aucun monument, trente à quarante pages de littérature, quelques statues…“
Mais, il sème nombre de traits d’humour, des réflexions cocasses, des situations drolatiques. Ainsi, lorsque Léonidas est élu monarque, son destin vient de s’ébranler : “Vers où ? Un gouffre, un triomphe, une marque de chocolat ?”
Sparte, et son aura de cité idéale, a fasciné avant de tomber dans un relatif oubli. Mais l’auteur rappelle que les pires dirigeants d’Occident, de Maximilien Robespierre à Lénine, de Napoléon à Mussolini, d’Hitler à Staline…, ont fait référence à des aspects de cette société, prenant ce qui leur convenait.
Avec ce livre qui relève à la fois du roman d’aventures, du livre historique, de l’essai social, Jean-François Kervéan livre une mine d’informations, une suite de révélations érudites, toutes plus passionnantes les unes que les autres.
serge perraud
Jean-François Kervéan, La naissance du sentiment, J’ai Lu, n° 12024, juin 2018, 320 p. – 8,00 €.