Que se passe-t-il dans l’espace d’un tel livre qui peut faire penser parfois à un tableau ? Tout est à la fois spacieux et enfermé, étouffant et soufflé. Les présences créent une lourdeur eu égard au passé mais parfois aussi une énergie légère, aérienne et sans pour autant offrir un avenir radieux même si une nouvelle arrivée ne le laisse pas Lynx - le héros du livre — de marbre.
Le voici coincé entre fixité et désir de se délivrer d’une autre présence. Celle du père qui meurt en début du roman de manière énigmatique.
Le mystère de la quête existentielle — qui se double d’un mystère plus prosaïque — fait la force du livre de la Lausannoise. Elle ouvre une fenêtre et prouve que chaque fils a besoin d’un ciel, d’une silhouette, d’un bruissement d’ « elle ». Comme si la conscience n’aimait pas l’invisible. Mais elle n’aime pas non plus se dissoudre, se confondre dans une relation trouble.
C’est pourtant ce qui se passe ici : le monde ne peut se manifester que par lui. Il y a là des trajets et des contre trajets, l’histoire de l’histoire. Tout est là non seulement dans l’étendue mais dans le silence des lieux et ses bruits. Un « là » immense et intime, ferme et fluctuant, furtif et évident ne permet pas de venir à bout des indices offerts par Claire Genoud.
Elle place lectrices et lecteurs sur un pont au-dessus d’un fleuve, dans les chemins d’une forêt des songes. Et tout compte fait, c’est bien dans l’épigramme de Francis Bacon qui ouvre le livre que se donne la seule clé : « Dans la nature c’est violemment que les corps se portent vers la place qui est la leur, et paisiblement qu’ils s’y meuvent ». Au nom de quoi tout est rude et sensuel. Primitif aussi. Ou premier.
L’auteure crée, au cœur d’un été meurtrier tant il est chaud, des crissements violents comme des chuintements aux limites de la perception. On en cherche le centre mais on ne le trouve pas. Le roman devient l’interstice par où tout passe et rien ne passe.
Un front de forêt se met en place pour un jeu de cache-cache plus ou moins inconscient et qui se donne en partage.
jean-paul gavard-perret
Claire Genoud, Lynx, Editions José Corti, Paris, 2018.