Anna Skowronek, La Shoah de Monsieur Durand & Un monde sur mesure

Anna Skowronek, La Shoah de Monsieur Durand & Un monde sur mesure

Enfants du silence

Nathalie Skowronek a ouvert une voie sur l’histoire de la Shoah. Mais, pour cette narratrice (miroir de l’auteure), le chemin a été long. Il a fallu quatre livres : « Karen et moi », « Max en apparence » (Arléa), « Un monde sur Mesure » (Grasset) et surtout « La Shoah de Monsieur Durand » (Gallimard) pour parvenir à la reprise et de l’identité de son « je » en insistant sur les nuances et biais sur l’histoire et la relation de la Shoah.
L’évocation passe parfois directement par la première personne mais aussi – comme dans ce livre – par le il « de l’enfant devenue écrivain » et qui trouva à travers ce biais un étrange et nécessaire dédoublement et une guérison. Elle y rappelle combien l’expérience de la Shoah reste intransmissible mais aussi combien les survivants, qui voulaient épargner à leurs descendances un tel trauma, en ont créé d’autres. La préservation leur semblait nécessaire (« La petite n’a pas besoin de savoir ça ») mais un tel « mensonge » a ouvert des troubles aussi moraux que physiques que l’artiste répare en expliquant par exemple ce que migrer veut dire.

Il arrive d’ailleurs que les enfants des déportés deviennent aux aussi des enfants du silence. Les secrets néanmoins se disent, mais de manière parfois plus ou moins trouble que s’ils avaient été ouvertement sus. Une femme qui, entrant dans le musée d’Auschwitz et découvre comme première image la valise de morts qui portaient son propre nom, ne laisse pas indemne.
Pour atteindre son but et au fil de ses livres, l’auteure a choisi une démarche complexe, multiple. Elle se déplace de l’histoire d’une génération à une autre. Dans la quatrième génération on voit des enfants se faire tatouer le numéro de leurs ascendants dans les camps afin que leur mémoire ne meure. L’auteure rappelle tout autant que la hantise du passé ne sert pas forcément la cause mais fomente une mémoire courte. La créatrice ne se fige pas dans l’avant et donne du jeu à des oppositions trop marquées.

Anna Skowronek possède de surcroît l’astuce d’appuyer ses démonstrations sur des blagues juives :  une manière de se référer à une tradition et représentation du monde afin de tordre le cou à un pathos qui parfois brouille les cartes tant il n’est pas facile de rameuter l’expérience de la monstruosité. Mais aussi celle de vies  étouffées au nom de la légitimité (ou non) d’un non savoir de ce qui s’était passé.

jean-paul gavard-perret

Anna Skowronek, 

La Shoah de Monsieur Durand, Gallimard,2015, 64 p. – 7,50 €.
– Un monde sur mesure, Grasset, 2017, 198p. – 18,00 €.

Laisser un commentaire