Emmanuel Godo, Je n’ai jamais voyagé

Presque par­fait

Se réfé­rant à Georges Bataille, Emma­nuel Godo envi­sage la lit­té­ra­ture comme “expé­rience inté­rieure”. Pas sûr cepen­dant que l’auteur en ait tiré toutes les consé­quences — du moins jusque là où  l’auteur de La Part Mau­dite les pous­sait au cœur d’une pen­sée nova­trice qui allait à débou­ter bien des idées reçues. Emma­nuel Godo ne remet pas en cause radi­ca­le­ment autant de choses même s’il se veut fidèle à un même dénue­ment.
Le lec­teur vou­drait être emporté par une telle lec­ture. Mais la langue épouse le poids de la culture : celle-ci entrave un cer­tain envol. Même lorsqu’il fait de l’humour — comme dans son titre -, Godo reste pri­son­nier d’une com­ponc­tion. Manque à cette écri­ture — et en dépit de ses nom­breuses qua­li­tés — une liberté. Trop bon cou­cheur avec ses maîtres, l’auteur n’ose pas s’en éloigner.

Beckett n’est à  ce titre pas la tasse de thé de Godo (en dépit de son nom). Un tel livre reste néan­moins son texte majeur. Comme Bau­de­laire avec ses Fleurs du mal,  il s’y est mis tout entier (sen­ti­ments, “voyages” et leur refus com­pris). Mais tout reste étroi­te­ment intime sans que se res­sente une visée suf­fi­sam­ment géné­rale même si l’« introït » et le mor­ceau de bra­voure ter­mi­nal sont des plus réus­sis.
Seul donc le par­fum cultu­rel un peu trop mar­qué (on dirait par­fois du par­fum Bour­jois avec un j comme joie) freine la mise à l’épreuve de l’existence et la confron­ta­tion à l’abîme inté­rieure. A l’inverse de Bataille, l’auteur est trop res­pec­tueux : il manque à une telle œuvre la part d’inconnu, de risque et la « dépense » bataillenne.

L’auteur lorgne tou­te­fois sur le passé avec une intel­li­gence presque osée. Et ce, jusqu’à réani­mer Mon­ther­lant, Bar­rès. Mais preuve que même du coté du reli­gieux l’auteur pré­fère les bien-pensants aux mau­vais prieurs. Ce n’est pas for­cé­ment un reproche. Cela per­met au poète la ” joie de déro­ger à la Police de la Pen­sée dont les repré­sen­tants sont légion”.  Et Godo d’ajouter “Bar­rès appe­lait cela l’ivresse de déplaire”, son « héri­tier » cultive d’autres politesses.

jean-paul gavard-perret

Emma­nuel Godo,  Je n’ai jamais voyagé, Gal­li­mard, coll. Blanche, 2018.

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