Emmanuel Romeo et les empreintes
Toute l’œuvre d’Emmanuel Romeo répond à la question “Comment sauver le peu qu’y s’engloutit ? Le photographe fait ressurgir non seulement les traces mais les lumières de tout ce qui se défait sur les surfaces qui en sont les porte-empreintes. L’artiste fait de ce rien sinon un tout du moins un cérémonial qui n’a rien de délétère. Les survivances des écorces se transforment soudain en “sur-vivances” à la beauté froide venue d’un surgissement apparemment intempestif. Romeo conjure l’immense charnier du temps selon une poétique dans l’espace des plus impeccables.
Le créateur projette des visions qui ouvrent à une sorte d’universalité. Elles marquent une obsession, une hantise de la lumière et de ses effets sur la matière. D’une certaine manière, Romeo libère le monde comme s’il voulait réparer le trauma d’une époque qui croule sous les images aussi répulsives qu’attirantes et attractives signes d’un implicite enfermement.
Les « abstractions » de l’artiste permettent de penser et d’envisager le rapport au monde en une concentration source de « simplicité ». Les œuvres produisent aussi une sensation quasi-tactile de l’espace au sein d’un parcours quasi-initiatique qui provoque un ravissement. Ce que l’artiste offre reste harmonieux et accompli. Dans cet univers dépeuplé et de recueillement tout « tient » en un retour à l’essentiel : l’image primitive et sourde.
Une lumière surgit de sa césure en une essence de clarté par ce dépouillement majeur là où l’art semble se dérober mais résiste de manière essentielle. Sous l’apparente banalité se cache ce qu’il y a de plus fantastique. L’image devient un seuil visuel particulier. Le franchir ne revient pas à trouver ce qu’on attend mais indique un réel passage : il ne risque pas, sa frontière passée, de rameuter du pareil, du même.
Si effet de miroir il y a, ce miroir est un piège : l’œil devient veuf de ce qu’il espère ou serait en droit d’attendre.
jean-paul gavard-perret
Emmanuel Romeo Photographe, Galerie 21, Saint-Gaudens, du 14 juin au 31 juillet 2018.