Philip Le Roy, Le neuvième naufragé

L’art de prendre le lec­teur à contre-pied 

Eva Velas­quez, franco-espagnole, est une des meilleures psycho-criminologue d’Interpol. Veuve depuis un an, depuis que son époux s’est noyé lors d’une régate, elle a la pho­bie de l’eau. Son patron à l’Organisation inter­na­tio­nale de police cri­mi­nelle l’envoie, toutes affaires ces­santes, pour inter­ro­ger huit nau­fra­gés dont le voi­lier a brûlé. Un des pas­sa­gers a dis­paru. Il s’agit de Dorian, le fils d’un haut diplo­mate fran­çais en poste à Madrid.
Elle arrive en pleine tem­pête. Sur ce rocher, chaus­sée de ses Lou­bou­tin, elle fait un faux pas, est rat­tra­pée par le mili­taire qui la guide mais elle lâche son car­table qui tombe à l’eau avec ce qu’il contient et le dos­sier de cette affaire Spa­nish Queen, du nom du voi­lier. Ce voi­lier a été loué par une bande de cinq filles et quatre gar­çons. Ils sont de natio­na­li­tés dif­fé­rentes, ne se sont ren­con­trés que sur Face­book. Ce qui frappe Eva, à la lec­ture des pre­miers ren­sei­gne­ments, c’est qu’ils sont tous céli­ba­taires, pré-trentenaires et six ont des affi­ni­tés avec le droit.
Sur cet îlot battu par les vagues, elle doit vaincre sa pho­bie, s’imposer face à un capi­taine de la Guar­dia Civil et un offi­cier de la marine maro­caine déjà sur les lieux. Elle apprend, en arri­vant, que de la drogue a été retrou­vée sur l’îlot et qu’une des filles a été éva­cuée sur Mar­bella car elle a été vio­lée.
Com­mence alors une vague d’interrogatoires qui, peu à peu, révèle une situa­tion dan­tesque, des com­por­te­ments irrai­son­nés, odieux. L’exiguïté sur un voi­lier trans­forme vite un groupe d’amis en panier de crabes. Alors, quand il s’agit de per­sonnes qui ne se sont connues que par Inter­net. ! Un corps est retrouvé cal­ciné dans l’épave. Quelle était la vraie rai­son de cette croisière ?

En rete­nant pour décor un lieu peu usuel, une île éphé­mère avec des élé­ments natu­rels déchaî­nés, le roman­cier donne déjà un ton par­ti­cu­lier à son récit, mar­quant la rela­ti­vité des élé­ments tant phy­siques que psy­cho­lo­giques, la fra­gi­lité de la per­cep­tion de la réa­lité. Il com­plique la situa­tion avec la multi-nationalité de ce rocher reven­di­qué par nombre de pays, avec autant de juri­dic­tions dif­fé­rentes aux objec­tifs diver­gents. Il mul­ti­plie les dif­fi­cul­tés pour son enquê­trice qui, outre la charge de la chasse au cou­pable, doit faire face à ses propres démons, impo­ser sa pré­sence et sa légi­ti­mité, trou­ver un che­min vers une vérité dans un fatras de témoi­gnages qui semblent avoir été répé­tés et mis au point. Et quand arrive le père du dis­paru qui a tou­jours cou­vert les frasques de son fils…
Mais, avec son intrigue, Phi­lip Le Roy ne s’amuse pas qu’à tour­ne­bou­ler ses lec­teurs. Il intègre nombre d’apports socio­lo­giques, scien­ti­fiques, psy­cho­lo­giques fai­sant part du prin­cipe de Luci­fer, ce pos­tu­lat sur l’instinct de sur­vie, par exemple, ou encore du test tal­mu­dique, du cas Tobias Webs­ter… autant d’éléments qui struc­turent et den­si­fient son récit. Il fait preuve d’une connais­sance appro­fon­die des rela­tions dans un groupe, des réac­tions des indi­vi­dus confron­tés à des menaces. C’est éga­le­ment la démons­tra­tion du tra­vail minu­tieux du roman­cier pour mettre en place toutes les péri­pé­ties, les coups de théâtre et retour­ne­ments qu’il fait endu­rer à ses pro­ta­go­nistes et à… ses lecteurs.

Maître ès-manipulations, Phi­lip Le Roy joue avec tous les registres. Il pos­sède cet art pré­cieux, mais si rare, de don­ner une cohé­rence à ce qui semble un imbro­glio. Mul­ti­pliant les per­son­nages, leur mode de vie, de pen­sée, leurs fonc­tion­ne­ments dif­fé­rents selon leur culture, il tisse une intrigue machia­vé­lique où bien malin celui qui entre­voit la chute avant de la lire, une chute déli­cieu­se­ment amo­rale et… morale.
Avec Le neu­vième nau­fragé, Phi­lip Le Roy pro­pose un récit sai­sis­sant, à l’intrigue d’une grande inten­sité, aux per­son­nages inou­bliables : un for­mi­dable roman de plus pour une biblio­gra­phie déjà très riche en la matière.

serge per­raud

Phi­lip Le Roy, Le neu­vième nau­fragé, édi­tions du Rocher, avril 2018, 332 p. – 19,90 €.

1 Comment

Filed under Chapeau bas, Pôle noir / Thriller

One Response to Philip Le Roy, Le neuvième naufragé

  1. Philip Le Roy

    C’est ce regard pré­cis, pro­fond, pré­cieux que pose un cri­tique lit­té­raire sur mon tra­vail qui me donne foi en ce que je fais. Merci Serge Perraud.

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