L’œuvre d’Adriane Morard refuse de sacrifier aux aspects sombres de l’existence. Elle avance sans défaillance à la recherche de jaillissements. C’est ce qui donne à ses œuvres une certaine solennité mais toujours déplacée avec humour et subtilité. L’artiste pénètre des cercles pour s’approcher d’un centre jamais atteint dont elle ne cesse de se rapprocher. Et sa jeunesse prêche pour elle. La vie surgit dans ce que l’artiste dévoile et érige en ses « volumes » afin que l’espace plastique reste intempestif, inopiné et libre selon d’habiles transgressions. A l’ascétisme fait place l’excès nécessaire mais non sans une retenue qui le rend plus prégnant.
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
“La vie est dépense d’énergie”.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Ils sont devenus des rêves d’adulte.
A quoi avez-vous renoncé ?
A l’errance. Enfin, j’essaie. C’est pas gagné !
D’où venez-vous ?
D’un côté, des montagnes de granite et, de l’autre, des mines de charbon.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
La cavale !
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Le plus quotidien possible.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Ca dépend à qui on compare. Ca peut être mon sérieux comme ça peut être mon manque de sérieux.
Comment définiriez-vous l’humour dans votre travail ?
L’humour c’est une forme de l’amour, un regard qui révèle sans se soucier d’être juste. Ca ouvre sur un point zéro qui est propre à chacun et donc universel et unique à la fois.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Une image du télé-journal pendant la dernière guerre yougoslave.
Et votre première lecture ?
Première ? Aucune idée, sûrement quelque chose sur les cosmonautes ou les Egyptiens. Le premier ouvrage littéraire dont je me rappelle, par contre, c’était “Les Nuits Blanches”, de Dostoïevski.
Quelles musiques écoutez-vous ?
— “I did everything wrong but I’ve never got caught… so of course I will do it all over again…”
– “and we don’t bow down, on nobody’s ground…”
– “boum-tchack boum-tchak boum-tchak”
Quel est le livre que vous aimez relire ?
A peu près tous les livres qui ne sont pas des nouvelles, je les relis. Un peu tout le temps. En fait, je ne les finis jamais vraiment non plus.
Quel film vous fait pleurer ?
« Sans Soleil » de Chris Marker.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
La peau et tout ce qu’elle raconte.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A Alejandro Jodorowsky.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Saint Petersbourg ! De toutes les fois où j’y suis allée, je n’ai connu que l’amitié, c’est mon lieu de prédilection. J’ai adoré Moscou et la Sibérie aussi. Les trains, beaucoup. Le marbre. Les regards. Les Kruschchevkas. Et puis la vodka et les oeufs de poisson, bien sûr. Belgrade aussi. Pour les exactes mêmes raisons ; l’amitié, la beauté et puis les plaines de la Vojvodina, les voyages en taxi sauvage et la scène artistique contemporaine ; tranchante et sans concession. Tokyo, ses tremblements de terre, la compréhension du corps et de l’espace qui en découle et qui créé autant d’humilité que d’énergie.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
J’ai une affinité particulière avec les “skis”: Bukowski, Dostoïevski, Mayakovski, Jodorowsky. Et puis avec les excentriques: Deleuze, C.G. Jung, Henri Miller. Sinon, Thomas Hirschhorn, Sophie Calle, ChimPom.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Rire, joie et désir ! Sinon, un mécène ça ne serait pas mal non plus.
Que défendez-vous ?
Les espaces de respiration. Que tout ne devienne pas qu’un amas condensé de masse pasteurisée. S’il y a des espaces de respiration, il y a de la résistance.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Je ne sais pas… que l’idée de l’amour est différente selon chacun et qu’il en résulte presque toujours une sorte d’imposition, de domination de sa vision sur l’autre… et que donc, finalement, aucun des protagonistes n’obtient ce qu’il/elle voulait. Peut-être.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Une stratégie de dauphin.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
C’est quoi, l’art contemporain?
Entretien et présentation réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 8 avril 2018.