Pour tenter de sauver sa santé fragile, vers la fin de sa (courte) vie, Stevenson s’installe dans une île de l’archipel des Samoa. Il devient propriétaire terrien, chef de clan mais reste un écrivain remotivé par son nouvel « exil ». Il se transforme si l’on peut dire en ce qu’il a toujours été : un « Tusitala » (raconteur d’histoires). Il compose en ses deux dernières années d’existence quatre romans (Catriona, Le Creux de la vague, Saint-Yves et Hermiston) et trois nouvelles, recueillies dans ce volume Veillées des îles, dont La plage de Falesà qui fut considérée comme scandaleuse mais évite tout exotisme. Nettoyées de leur apparence paradisiaque, les îles deviennent le lieu d’ombres et l’auteur y dénonce le colonialisme anglais.
Néanmoins, la veine écossaise demeure comme le prouve son Catriona ou encore et de manière plus large Saint-Yves, roman historique inachevé mais qui sera terminé par Arthur Quiller-Couch (publié en annexe dans ce tome). Dans ces textes, l’auteur rapproche implicitement la lutte des rois de Samoa des chefs de clan écossais et tous ceux qui luttent pour la défense de malheureux de l’histoire des mondes.
Au cœur de ces fictions, Stevenson se plait à détruire des illusions et des idéologies de manière insidieusement didactique et engagée. Il met à nu la grammaire élémentaire de la destruction que certains envahisseurs fomentent en instaurant des peurs et imposant leur injustice. Bref, Stevenson continue d’écrire contre les hommes alourdis, orgueilleux, tenant la pose du haut de leur certitude. Preuve que dans les Samoa, Stevenson n’est pas parti. Du moins pas trop loin. Pas en totalité. La littérature envahit tout, tout y baigne manière de souligner des souffrances là où le sable des plages pourrait faire penser à une certaine douceur.
Stevenson prouve qu’il n’aura jamais été vieux et qu’il cultive l’impudence même lorsque l’Histoire et sa distance pourraient faire penser le contraire. L’auteur est moins Walter Scott que Conrad. Et le roman reste une forme de résistance. A sa manière, Stevenson milite encore sous le soleil de ses derniers rivages.
L’espèce humaine y est traitée sous bien des angles là où les communautés hétérogènes ne sont jamais données pour acquises. Chez un tel écrivain, jamais de pensées communes et jusqu’au bout de sa vie. C’est pourquoi tous ses romans restent d’actualité.
jean-paul gavard-perret
Stevenson, Veillées des îles. Derniers romans. Œuvres III, NRF Gallimard, coll. La Pléiade, , Paris, 2018.