Un secret vieux comme le monde
Cet album raconte le voyage initiatique d’une mère et de sa fille qui les mène à la découverte de leurs racines, de leurs personnalités et d’un univers fantastique venu du fond des âges. Serge Lehman puise dans le creuset des mythologies, des légendes urbaines pour concevoir des récits toujours attractifs par leur originalité. Pour le présent volume, il met en scène une tribu de femmes, une lignée qui se passe parfaitement des hommes. Ceux-ci ne sont, pour elles, que des outils pour perpétuer les générations.
On retrouve, dans cette situation, ces familles de “sorcières” quand, face à une ignorance crasse, des femmes possédaient quelques connaissances supplémentaires par rapport au commun des mortels.
Betty Couvreur déguste un verre dans un bar quand son voisin la drague lourdement. En pleine crise d’aphasie, elle esquive et répond avec un texto ravageur. En rentrant chez sa mère, elle est accueillie par Clara, sa fille, une adolescente pétillante. Elles sont chez Maud pendant les travaux dans leur appartement. Betty soigne son extinction de voix avec Paul qui utilise une méthode proche de l’hypnose et fait payer ses soins en nature.
Le lendemain, Clara, réveillée par la sonnette d’entrée, découvre un visiteur vêtu d’un manteau de plumes et portant un masque de corbeau. Il veut voir Maud. Celle-ci est inanimée dans son lit. Bien que l’adolescente soit paniquée, le visiteur veut le paquet qu’on devait lui remettre et menace Clara, lui fixant un rendez-vous pour qu’elle lui donne ce qui lui revient. La vieille dame est transportée dans un service de soins intensifs.
Betty doit travailler avec Pierre Inféri pour la maquette de son livre. Elle redoute cette rencontre et fait, la nuit précédente, un cauchemar dans lequel il est question de Traversants. C’est Inféri qui lui donne des éléments de réponses. Il a fait partie de ce groupe de psycho-géographes et révèle que le visiteur est un tueur qui protégeait un Juif réalisant des faux-papiers pour les résistants pendant la seconde Guerre mondiale. Si ce dernier est mort, son fils vit en Israël. Dans un premier temps il refuse toute conversation avec Betty. Puis, devant se rendre à New York, il décide de faire escale à Paris. Il lui dévoile qu’il l’a déjà rencontrée, quand elle avait quatre ans, quand il a fait des faux-papiers pour sa mère et pour elle.
Betty va plonger au plus profond de ses racines, découvrir des secrets multiséculaires…
À la fois récit fantastique, thriller, cet album de plus de trois cents planches se révèle un excellent polar intégrant tous les éléments du genre à savoir : une enquête, des risques, une mise en danger… Parallèlement, l’auteur introduit une quête personnelle pour ses deux principales héroïnes, une vision d’un univers féminin, ainsi que les causes de cette situation. Mais Serge Lehman sait entremêler des faits historiques à une banale réalité et enrichir son intrigue avec, par exemple, l’introduction de la résistance aux nazis dans les années 1940, des groupuscules aux buts nébuleux… pour faire émerger une histoire poignante allant crescendo jusqu’à un final éblouissant.
Frederik Peeters restitue de belle manière l’esprit du scénario et les atmosphères de celui-ci. Il donne des planches superbes d’un Paris sous une pluie diluvienne et transporte son art graphique dans les monts du Jura avec la même maîtrise. Ses personnages restent toujours identifiables quelles que soient les situations et livrent leurs sentiments avec une remarquable expressivité. Tout en noir, blanc, gris, ce récit est superbement mis en images.
Avec L’Homme gribouillé, les deux créateurs offrent un bel album au graphisme puissant, à l’intrigue relevée par une galerie de personnages bien campés.
serge perraud
Serge Lehman (scénario) & Frederik Peeters (dessin et couleur), L’Homme gribouillé, Delcourt, coll. Hors collection, janvier 2018, 330 p. – 30,00 €.