Serge Lehman & Frederik Peeters, L’Homme gribouillé

Un secret vieux comme le monde 

Cet album raconte le voyage ini­tia­tique d’une mère et de sa fille qui les mène à la décou­verte de leurs racines, de leurs per­son­na­li­tés et d’un uni­vers fan­tas­tique venu du fond des âges. Serge Leh­man puise dans le creu­set des mytho­lo­gies, des légendes urbaines pour conce­voir des récits tou­jours attrac­tifs par leur ori­gi­na­lité. Pour le pré­sent volume, il met en scène une tribu de femmes, une lignée qui se passe par­fai­te­ment des hommes. Ceux-ci ne sont, pour elles, que des outils pour per­pé­tuer les géné­ra­tions.
On retrouve, dans cette situa­tion, ces familles de “sor­cières” quand, face à une igno­rance crasse, des femmes pos­sé­daient quelques connais­sances sup­plé­men­taires par rap­port au com­mun des mortels.

Betty Cou­vreur déguste un verre dans un bar quand son voi­sin la drague lour­de­ment. En pleine crise d’aphasie, elle esquive et répond avec un texto rava­geur. En ren­trant chez sa mère, elle est accueillie par Clara, sa fille, une ado­les­cente pétillante. Elles sont chez Maud pen­dant les tra­vaux dans leur appar­te­ment. Betty soigne son extinc­tion de voix avec Paul qui uti­lise une méthode proche de l’hypnose et fait payer ses soins en nature.
Le len­de­main, Clara, réveillée par la son­nette d’entrée, découvre un visi­teur vêtu d’un man­teau de plumes et por­tant un masque de cor­beau. Il veut voir Maud. Celle-ci est inani­mée dans son lit. Bien que l’adolescente soit pani­quée, le visi­teur veut le paquet qu’on devait lui remettre et menace Clara, lui fixant un rendez-vous pour qu’elle lui donne ce qui lui revient. La vieille dame est trans­por­tée dans un ser­vice de soins inten­sifs.
Betty doit tra­vailler avec Pierre Inféri pour la maquette de son livre. Elle redoute cette ren­contre et fait, la nuit pré­cé­dente, un cau­che­mar dans lequel il est ques­tion de Tra­ver­sants. C’est Inféri qui lui donne des élé­ments de réponses. Il a fait par­tie de ce groupe de psycho-géographes et révèle que le visi­teur est un tueur qui pro­té­geait un Juif réa­li­sant des faux-papiers pour les résis­tants pen­dant la seconde Guerre mon­diale. Si ce der­nier est mort, son fils vit en Israël. Dans un pre­mier temps il refuse toute conver­sa­tion avec Betty. Puis, devant se rendre à New York, il décide de faire escale à Paris. Il lui dévoile qu’il l’a déjà ren­con­trée, quand elle avait quatre ans, quand il a fait des faux-papiers pour sa mère et pour elle.
Betty va plon­ger au plus pro­fond de ses racines, décou­vrir des secrets multiséculaires…

À la fois récit fan­tas­tique, thril­ler, cet album de plus de trois cents planches se révèle un excellent polar inté­grant tous les élé­ments du genre à savoir : une enquête, des risques, une mise en dan­ger… Paral­lè­le­ment, l’auteur intro­duit une quête per­son­nelle pour ses deux prin­ci­pales héroïnes, une vision d’un uni­vers fémi­nin, ainsi que les causes de cette situa­tion. Mais Serge Leh­man sait entre­mê­ler des faits his­to­riques à une banale réa­lité et enri­chir son intrigue avec, par exemple, l’introduction de la résis­tance aux nazis dans les années 1940, des grou­pus­cules aux buts nébu­leux… pour faire émer­ger une his­toire poi­gnante allant cres­cendo jusqu’à un final éblouis­sant.
Fre­de­rik Pee­ters res­ti­tue de belle manière l’esprit du scé­na­rio et les atmo­sphères de celui-ci. Il donne des planches superbes d’un Paris sous une pluie dilu­vienne et trans­porte son art gra­phique dans les monts du Jura avec la même maî­trise. Ses per­son­nages res­tent tou­jours iden­ti­fiables quelles que soient les situa­tions et livrent leurs sen­ti­ments avec une remar­quable expres­si­vité. Tout en noir, blanc, gris, ce récit est super­be­ment mis en images.

Avec L’Homme gri­bouillé, les deux créa­teurs offrent un bel album au gra­phisme puis­sant, à l’intrigue rele­vée par une gale­rie de per­son­nages bien campés.

serge per­raud

Serge Leh­man (scé­na­rio) & Fre­de­rik Pee­ters (des­sin et cou­leur), L’Homme gri­bouillé, Del­court, coll. Hors col­lec­tion, jan­vier 2018, 330 p. – 30,00 €.

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