Toutes les œuvres de Sarah Cohen (photographie Benjamin Girard) sont énigmatiques et parfaites. La sculptrice et plasticienne a assimilé toutes les formes de l’art moderne et contemporain. Elle ne s’y perd jamais mais s’y retrouve pour en donner une version pertinente. Il existe toujours une perfection et une profondeur des formes. Les surfaces opaques semblent animées d’une lumière intérieures. Les structures plus ouvertes permettent d’entrer dans l’obscur.
Dans tous les cas, les formes déforment mais dans une impeccabilité. Preuve que les œuvres de l’artiste — si elles séduisent parfois par coups de foudre — doivent être appréhendées progressivement. Cette approche est nécessaire afin d’en comprendre la poétique d’une puissance féminine à la rencontre du visible et de l’invisible par divers techniques et empreintes.
Sarah Cohen a exposé ses sculptures “Les points et un point” à la K’s Gallery, Tokyo.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le moment où mes pensées se posent pour devoir passer à l’action ou bien tout simplement lorsque j’entends le voisin se lever !
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Ils sont très différents de ce que je vis aujourd’hui, mais il y a toujours des petits liens possibles à imaginer.
A quoi avez-vous renoncé ?
Pas grand chose, pour l’instant…
D’où venez-vous ?
Mes origines familiales sont multiples, ce qui me semble aussi très français. Je suis une parisienne aux longues racines multiples et bien enfouies.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
La “sériosité”, le soutien, l’application et le rire.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Couper et regarder l’intérieur des fruits, toucher certains tissus, observer des traces, des empreintes…
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Mon surmoi donc un ego un peu comprimé, ce qui fait que je ne me sens pas vraiment artiste parfois.
Comment définiriez-vous votre approche de la matière ?
Sensorielle, tactile et expérimentale, comme un cuisinier qui teste ses mélanges ou un photographe qui attend dans le noir que l’image se révèle.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Difficile de se souvenir et de se fixer sur une seule image, mais je me souviens, enfant, m’être longuement arrêtée sur le tableau Ophélie de John Everett Millais suspendu dans la salle de bain.
Et votre première lecture ?
« Les Malheur de Sophie » de la Comtesse de Ségur.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Des voix qui m’accrochent comme Nina Simone, Amy Winehouse, Barbara, Jacques Brel, et beaucoup de musique classique, Chopin, Bach, Beethoven mais ça dépend surtout de l’humeur ou des découvertes du moment.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
« Le prophète » de Khalil Gibran.
Quel film vous fait pleurer ?
Par exemple, « Une séparation » d’Asghar Farhadi
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Une inconnue que je crois connaître.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A mon analyste.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Pompéi, la ville où le temps s’est arrêté, surtout parce que je n’y suis jamais allée.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
J’aime Henry Moore, Louise Bourgeois pour ses morceaux de corps, Camille Claudel pour la délicatesse de sa taille, les matières et les formes débordantes d’Anish Kapoor, Bill Viola et sa manipulation du temps, Jean-Baptiste Carpeaux avec ses corps dansant, Brancusi, Thomas Schütte… Comme écrivains, je pense à Annie Ernaux, Elie Wiesel, Anaïs Nin…
Mais selon la loi de la tectonique des plaques, cela reste toujours mouvant.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Des matinées plus longues.
Que défendez-vous ?
Pas grand chose, à part trouver son juste équilibre, son libre arbitre.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
L’amour me paraît indéfinissable, ce qu’on tente indéfiniment de faire et qui fait s’entrechoquer les mots comme une musique. Lacan était peut-être un musicien ?
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Dire oui à tout, c’est fou! Mais cette folie est joyeuse.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Je vous retourne la question.
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 10 décembre 2017.