Clarté, subtilité : une réussite…
Qu’on s’intéresse ou non au personnage — hautement romanesque — de la duchesse de Berry, les renseignements qu’offre cette biographie sur les années 1814–1832 sont si rares et passionnants qu’on est porté à la recommander à tout amateur d’Histoire. Autour du personnage central, l’auteur a reconstitué, avec une érudition admirable et un don pour l’écriture qu’on ne rencontre guère chez ses confrères, tout un paysage politique mouvant, complexe au plus haut plan, mais présenté de la manière la plus compréhensible.
Brégeon échappe à tous les écueils propres à son domaine : son ouvrage, accessible au grand public, témoigne en même temps d’une haute exigence intellectuelle, d’un souci d’objectivité et d’une finesse qui ressort particulièrement bien lorsqu’il s’agit de composer le portrait de son héroïne. L’image qu’il nous donne de la duchesse de Berry s’enrichit par étapes, entre la silhouette d’adolescente ignare (incapable même de parler correctement l’italien, s’exprimant en dialecte), la jeune mariée frivole et entichée de romans de chevalerie, la veuve qui s’éprend de politique, la passionaria avant la lettre, décidée à offrir le trône à son fils envers et contre tout, dans une tentative de guerre « vendéenne » vouée d’avance à l’échec — pour finir en dame mûre étonnamment heureuse dans son exil, choyée par son second époux, ravie de recevoir ses petits-enfants, et se délectant à faire de la tapisserie.
C’est là un portrait exempt de complaisance, chatoyant d’ironie même s’il reste chaleureux, et d’autant plus instructif qu’il donne lieu à des mises en perspective constantes. En effet, quoique l’évolution de Marie-Caroline occupe souvent le premier plan, l’auteur ne perd jamais de vue les personnages politiques qui comptent davantage qu’elle dans le contexte de leur temps, assurant ainsi au livre l’équilibre indispensable pour permettre au lecteur de saisir à la fois le rôle précis qu’elle a joué et les vrais enjeux de l’époque, par lesquels elle était largement dépassée, demeurant incapable d’y voir clair et objectivement impuissante même indépendamment de son manque de lucidité.
Au fil du récit, toutes les grandes figures de la Restauration apparaissent, évoquées sous un angle qui met en valeur l’esprit du temps, les transformations socio-politiques, les mutations de la conscience nationale et les changements de génération — en somme, la dynamique des forces qui peuvent contribuer à déterminer l’état des choses dans un pays, au fil d’un certain nombre d’années.
La période en question étant particulièrement complexe, tissée de nuances politiques que le recul de presque deux siècles n’aide pas à saisir, un historien moins habile que Brégeon aurait pu céder à la facilité pour la simplifier, ou en faire un compte rendu fastidieux à force d’explications. Rien de tel dans ce livre d’un spécialiste qui sait transmettre avec une clarté exemplaire sa lecture subtile d’une réalité donnée, par le biais de synthèses et de raccourcis virtuoses, en s’offrant au passage le plaisir de se moquer, dans deux notes en bas de page, de certains produits abscons de l’esprit universitaire.
Cerise sur le gâteau, les annexes où l’on trouve, entre autres, une présentation du parcours politique de Victor Hugo, dont on ne saurait s’empêcher de citer une phrase : D’un orléanisme tiède Hugo passe à un bonapartisme rétroactif qu’il délaisse pour les bras de Washington (plutôt que ceux de Robespierre) en attendant les rêveries socialistes qui l’auraient poussé jusqu’au bolchevisme et plus s’il était mort à l’âge de Jeanne Calment… L’historien sachant rire parmi ses fastes d’érudition est une espèce si peu courante qu’on a déjà hâte de se plonger dans le prochain Brégeon.
a. de lastyns
Jean-Joël Brégeon, La Duchesse de Berry, Tallandier, 2009, 303 p. — 25,00 euros |
||