Difficile — a priori — d’oser la moindre critique sur le roman de Marie-Hélène Lafon. L’humanisme le rend inattaquable. D’autant que sous le personnage de la narratrice l’auteure se dévoile. La native du Cantal, comme son héroïne, est devenue parisienne. Celle-ci (mais ne faut-il pas y entendre la romancière elle-même ?) est riche de ses épreuves passées et de la grand-mère à qui elle donnait la main. Elle la tend (ou presque) à l’autre protagoniste du roman : Gordana.
L’auteure avait déjà consacrée une nouvelle à cette caissière de Franprix venue de bien plus loin que le Massif Central. Elle en fait l’objet de son étude. S’ensuit une enquête filée au besoin complétée par les caprices de l’imaginaire. A cette aune, un des « clients » de Gordana prend toute son attention et elle lui invente une vie hypothétique pour le transformer lui aussi en perdant de la vie : « il aurait quarante-deux ans et pas d’enfants et sa femme l’aurait quitté pour aller en faire avec un autre homme ». Voire. Mais il devient l’enamouré potentiel de la caissière dont elle creuse la vie d’exilée.
Le roman rappelle ceux de Guéhenno et de toute une littérature classique de la pauvreté, « du peu » et de la bien-pensance du siècle dernier. Existe un art parfaitement suranné en ses grâces et sa simplicité. Néanmoins, le regard, dans son attention à l’autre, reste voyeuriste même si — ou parce que — l’auteure-narratrice croit trouver dans Gordana une semblable, une sœur.
Son histoire devient une symbolique actée au sein d’une narration — fadasse et compasse pour les uns, passionnante et compassionnelle pour les autres. La désespérance fait le jeu d’une intranquillité parfaitement programmée et mesurée. La narration est parfaitement calibrée pour émouvoir ceux que Mélenchon nomme « les gens ». Ils trouveront là une métaphore de la société face à laquelle ils entrent en « résistance ».
Nulle question de contester la bonne volonté et les sentiments idoines de la romancière. Mais cela ne mange pas de pain — fût-il noir. Tout reste propret et balisé au sein de descriptions qui, dans un autre siècle, aurait fait le sang d’encre des dictées voire les suées des leçons de morale de ceux qu’on nommait nos chères têtes blondes.
jean-paul gavard-perret
Marie-Hélène Lafon, Nos vies, Editions Buchet-Chastel, Paris, 2017, 192 p. — 15,00 €.