Eugène Ionesco, Le blanc et le noir

Ionesco et la peinture

Les évé­ne­ments de 1968 à Paris plongent Ionesco dans une dépres­sion ou dans ce qu’il nomme sa « détresse spi­ri­tuelle ». Il consulte un méde­cin qui lui conseille de reprendre l’écriture. Mais, ne lui obéis­sant pas, il se tourne vers le des­sin : « j’avais besoin de m’exprimer d’une autre façon que par l’écriture. Je connais­sais beau­coup de peintres pour avoir écrit sur Cana­letto, Schnei­der, pré­facé Miro, Bran­cusi et beau­coup d’autres, mais étant extrê­me­ment mal­adroit dans le des­sin je n’avais jamais essayé ».
Pour­tant, il ose enfin et son pro­jet de livre Décou­vertes (Skira, 1969) lui en donne l’occasion. L’auteur avait d’abord envi­sagé d’y insé­rer des tableaux qu’il aimait. Mais il choisi une autre option : créer lui même ses pre­miers des­sins. Il les juge naïfs, enfan­tins. Mais leur aspect lugubre séduit Viera da Silva qui estime que des « peintres pro­fes­sion­nels » n’oseraient plus faire comme lui. A savoir « un homme mai­son, mais avec les jambes extrê­me­ment longues d’un arle­quin dis­lo­qué, des figures gro­tesques ne tenant pas compte des lois du dessin ».

Fort de cette cau­tion et quoique auto­di­dacte, Ionesco per­sé­vère — encou­ragé aussi par Max Bill, Tapiès, qui lui donnent quelques conseils. Il ne pré­pare jamais ses com­po­si­tions à l’avance : elles sont le fruit d’une rela­tion directe entre son incons­cient et l’outil. Il laisse sa main et son ima­gi­naire par­cou­rir le sup­port : « Si on ne pense à rien, des formes d’expressions sur­gissent ». Bref, le geste « pense» par lui-même.
Peu à peu, Ionesco découvre un monde inconnu qu’il ne soup­çon­nait pas. Un monde qu’il nomme « du silence » même si ses figures semblent hur­ler. Elles lui per­mettent d’exorciser à cette époque son angoisse. A l’époque de la publi­ca­tion du livre, elle n’est pas der­rière lui mais il trouve là sinon une séré­nité du moins un apai­se­ment. Il voit dans ses monstres une sorte de gaieté, entre autres par le jeu des cou­leurs même si très sou­vent seul le blanc et noir dominent.

jean-paul gavard-perret

Eugène Ionesco,  Le blanc et le noir,  Edi­tions Gal­li­mard, collec­tion L’Imaginaire, Paris, 2017.

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