Pierre Bordage, Mort d’un clone

Le clone est mort, vive le clone

Martial Bon­ne­teau, la cin­quan­taine loin d’être frin­gante, s’ennuie dans sa vie de clone métro-boulot-dodo. Son tra­vail de comp­table l’ennuie, ses enfants l’ignorent et sa femme l’exècre, ce qu’il lui rend bien. C’est qu’elle lui reproche ses piètres per­for­mances sexuelles, qui les ont conduits de concert à mettre fin à toute rela­tion char­nelle. Mépris de soi et frus­tra­tions en tous genres rythment une vie sans inté­rêt.
Jusqu’au jour où, sans savoir trop com­ment, Mar­tial trouve le cou­rage de tenir tête à l’acariâtre, puis enchaîne par une flâ­ne­rie pari­sienne et prin­ta­nière qui le conduira dans le lit d’une pros­ti­tuée au grand cœur — nom­mée Féli­cité, comme de bien entendu. Grâce à l’intervention d’une cer­taine Mamasa, il retrouve un organe digne de ce nom, et avec lui sa dignité. Le clone (“une iden­tité fac­tice, une pro­jec­tion men­tale, une vague imi­ta­tion de soi-même, une ombre qu’on s’ingénie à prendre pour la réa­lité”) se rebelle, sus­ci­tant réac­tions aba­sour­dies à la chaîne, au bureau comme au foyer.
Sa rou­tine implose, la révo­lu­tion inté­rieure de Mar­tial est en marche. Il découvre que son hideuse le trompe, que sa fille tourne dans des films X pour s’acheter de la drogue… et se rend compte qu’il n’a pas plus joué son rôle de père que de mari. Une com­pli­cité nou­velle se lie entre père et fille.

S’ensui­vront visite chez un psy­cho­logue, où il découvre consterné que ce dont on l’accuse, “un trouble de com­por­te­ment, c’est lorsque l’on fait des choses dif­fé­rentes de celles qu’on a l’habitude de vous voir faire” (p156) ; puis un sémi­naire de com­mu­nion avec la nature.
Pierre Bor­dage, plus connu des ama­teurs pour ses ouvrages de science-fiction, choi­sit pour son pre­mier roman de lit­té­ra­ture géné­rale de trem­per sa plume dans le vitriol. Ser­vie par des per­son­nages englués dans le quo­ti­dien et l’amertume, l’histoire de l’émancipation du clone raconte avec un cynisme délec­table nos petites alié­na­tions à tous. En plus d’un style bien par­ti­cu­lier, Bor­dage est doté d’un fameux sens de l’humour. Noir, très noir. Même si le ton est dif­fé­rent de ses écrits habi­tuels, il ne se défait pas de ses obses­sions, le sexe et la drogue.
Mais au-delà du fond, où com­ment le clone par­vient à se refaire une vie d’être humain, c’est la gouaille de l’auteur qui réjouit. Et heu­reu­se­ment, car le por­trait est plu­tôt pes­si­miste (si l’on excepte un happy end auquel même l’auteur ne semble pas croire).

Jugez plu­tôt à tra­vers ces quelques mor­ceaux choi­sis (dont cer­tains ne sont pas sans rap­pe­ler un Fré­dé­ric Dard), mais la liste ne sau­rait être exhaus­tive, il fau­drait citer la quasi tota­lité du roman : “Pétrie, anéan­tie, estou­bas­sour­die, bras bal­lants, bour­re­lets vacants, bouche cris­pée d’où aucune insulte ne saillait” (voilà com­ment Mar­tial décrit sa chère et tendre, p. 24) ; “Elle lui lança un regard nucléaire, le genre de regard non conven­tion­nel qui, en temps de guerre lar­vée ordi­naire, l’eût écra­pi­touillé pen­dant six bons mois” (p. 29) ; “Elle se sou­leva à une vitesse sidé­rante pour un pachydé-cétacerme” (non, il ne s’agit plus de Madame, mais de la grosse mara­boute en bou­bou qui rend à Mar­tial sa viri­lité, p. 94).

agathe de lastyns

   
 

Pierre Bor­dage, Mort d’un clone, Diable Vau­vert, jan­vier 2012, 301 p. –18,00 €

 
     

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