Christos Tsiolkas, Jesus Man

N’est pas James Joyce qui veut

De des­crip­tions lapi­daires mais trop sou­vent inin­té­res­santes en courts dia­logues per­clus de cli­chés, Chris­tos Tsiol­kas raconte dans Jesus Man l’histoire d’une famille, les Ste­fano, dont les hommes semblent pour­sui­vis par une étrange malé­dic­tion.
Le père, Artie, est moi­tié Grec moi­tié Ita­lien, avec tous les incon­vé­nients que cela implique. Domi­nic, le fils aîné, traîne un petit pro­blème ren­con­tré à l’adolescence. Lou, le cadet, souffre de la dif­fé­rence d’âge qui fait de lui le « petit der­nier » que per­sonne ne prend au sérieux. Mais c’est Tommy qui ren­contre le plus de dif­fi­cul­tés.
Car dans l’Australie des années 90, perdre son emploi peut conduire très loin. En l’occurrence, très bas. Tom entre dans une spi­rale por­no­gra­phique et vio­lente, qui le conduit irré­mé­dia­ble­ment (mais bien len­te­ment) à sa perte.

Comme La Gifle, devenu le best-seller de l’auteur et par ailleurs recensé dans ces pages, le roman est raconté depuis dif­fé­rentes pers­pec­tives, la plu­part cen­trées autour des Ste­fano.
La pre­mière par­tie est presque exclu­si­ve­ment réser­vée à Tommy. Gras, fai­néant, bien­tôt sans emploi, il délaisse sa trop belle et trop com­pré­hen­sive petite amie Soo-Ling pour fré­quen­ter assi­du­ment les sex shops et autres vidéo clubs spé­cia­li­sés. Il se perd dans de furieuses séances de mas­tur­ba­tion sur fond de fan­tasmes d’une vio­lence inouïe, qui le laissent plus déses­péré que jamais, écœuré par son corps mais tendu vers la pro­chaine ses­sion. Tsiol­kas réunit dans ce per­son­nage mal aimable tous les maux qui rongent une société malade de son passé, de son pré­sent et peut-être même déjà de son ave­nir. Autant dire qu’il y a peu d’espoir à l’issue de cette ver­ti­gi­neuse des­cente aux enfers. Dans un style assez ciné­ma­to­gra­phique mais assez pauvre lit­té­rai­re­ment par­lant, l’auteur englue le lec­teur avec son per­son­nage, entre pul­sions sexuelles, lamen­ta­tions sur son obé­sité, réflexions hai­neuses envers la société, les femmes et sa famille.
Reste la dénon­cia­tion sans appel d’une par­tie de notre société, déses­pé­rée, qui fait le nid de toutes les noir­ceurs humaines. Heu­reu­se­ment, la deuxième par­tie, longue quête ini­tia­tique enta­mée par le cadet de la fra­trie, remonte jusqu’à l’acte fon­da­teur qui lui fait entre­voir — et à nous avec — la sor­tie du tun­nel. Mais à quel prix !

On retrouve là les sujets de pré­di­lec­tion de Tsiol­kas — le désir, la por­no­gra­phie, les ori­gines -, ceux dans les­quels il adore se vau­trer et dont il réus­sit par­fai­te­ment à décrire com­ment ils se fondent dans la société aus­tra­lienne, pour mieux la pour­rir de l’intérieur. Mais là encore, le style, et notam­ment cette idée de sup­pri­mer les tirets de dia­logues — après tout, pour­quoi pas, d’autres l’ont fait avec talent avant lui — n’est pas à la hau­teur des exi­gences affi­chées, et au lieu de la flui­dité et de l’introspection sans doute recher­chées, c’est la confu­sion qui pré­vaut.
N’est pas James Joyce qui veut.

agathe de lastyns

 

   
 

Chris­tos Tsiol­kas, Jesus Man, tra­duit de l’anglais (Aus­tra­lie) par Jean-Luc Piningre, Bel­fond, mars 2012, 464 p. — 22,00 €

 

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