Mathieu Riboulet, Lisières du corps

L’enchan­te­ment

Rares sont les livres sur le corps des hommes. Ces der­niers sont plus par­leurs lorsqu’il s’agit de par­ler de celui de l’autre sexe. Mathieu Ribou­let ose ce défi. Il révèle le corps mul­tiple de ses com­pa­gnons éphé­mères dans le jeu du désir, de la vie et de la mort que l’on se donne. En six courts récits, l’auteur fixe ses sou­ve­nirs à tra­vers la géo­gra­phie des corps qui se touchent pour dia­lo­guer dans un jeu sen­suel et « archéo­lo­gique ».
Au-delà du monde homo, les lec­trices femmes sont par­ti­cu­liè­re­ment séduites par ces évo­ca­tions d’un indi­cible. Elles sont elles aussi séduites par ces corps qui, débar­ras­sés de leurs limites, jouent dans un ham­mam turc, sauna gay de Cologne, une chambre ou le sexe s’achète, une pho­to­gra­phie, un spec­tacle d’acrobates.

Le domaine du corps est résumé dans les varia­tions et vibra­tions sen­so­rielles émises par une écri­ture remar­quable, capable de scru­ter les détails des muscles et de scan­der leurs ryth­miques joueuses et libi­di­nales. Par­fois avec le recul qu’il convient à l’écriture mais par­fois non sans iro­nie. Le nar­ra­teur dit l’émoi et l’harmonie. Celle-ci n’a rien de gym­nique : l’auteur avant même l’acmé du plai­sir décrit la dou­ceur et la cha­leur des corps, leur ten­son vibrante qui font cha­vi­rer acteurs du livre et ses lec­trices qui trouvent là une sin­cé­rité et une émo­tion humaine plus que mas­cu­line.
Elles trouvent là ce qui manque si sou­vent à la lit­té­ra­ture des corps, qu’ils soient gay ou non. ». Elles com­prennent l’étrange folie d’un appel sin­gu­lier afin de s’alléger du « poids des peines, des vio­lences, des mal­heurs ou celui, plé­tho­rique, insensé, que le désir sus­cite à chaque renais­sance, c’est-à-dire constam­ment ». Et qu’importe si dans cette explo­ra­tion « aucun de nous ne pour­suit tout à fait les mêmes buts».

Jusque dans un monde à l’amour tarifé, l’auteur pro­pose un éloge de la beauté. Fidèle à ses com­bats enga­gés, il donne aussi à l’idéologie libi­di­nale une voca­tion par­ti­cu­lière. Elle est par­fois mira­cu­leuse lorsqu’il évoque ses deux acro­bates. L’auteur sait dire l’enveloppe brillante de la peau mas­cu­line.
Mais il évoque sur­tout là où une cer­taine soli­tude se casse à la lisière du corps autre ou même : s’y quête un mys­tère sans fond à mesure que le désir avance jusqu’au plai­sir qui « se lève comme ces vents d’été» en légendes hié­ro­gly­phiques et cal­li­gra­phiques afin de créer l’enchantement ini­tia­tique des ren­contres, quelle que soit la suite ou la tenue.

Ici — et à l’inverse du désir mas­cu­lin qui tombe une fois assouvi — les mots résistent. Sans doute parce qu’ils res­tent à la source ori­gi­nelle, pri­mi­tive des faits où se cachent le mys­tère essen­tiel que cha­cun cherche pour connaître ses limites et celui de son ou sa par­te­naire. Preuve que là même où « entre deux il n’y a rien » (pour reprendre un de ses titres aux édi­tions Ver­dier), quelque chose se passe. Au-delà des genres et des âges.

jean-paul gavard-perret

Mathieu Ribou­let, Lisières du corps, Edi­tions Ver­dier, 2017.

 

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Filed under Erotisme, Espaces ouverts, Nouvelles

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