Robert Arlt, Les Sept Fous

Une fois de plus, perdre est une ques­tion de méthode

Nous avons donc sept fous. Sept fous aux noms étranges (le Cher­cheur d’Or, le Ruf­fian Mélan­co­lique, l’Homme-qui-a-vu-l’accoucheuse…) qui vivent dans les bas-fonds du Bue­nos Aires des années 30 et qui tentent de for­mer une société secrète. Le but de cette société sera gran­diose : faire la révo­lu­tion, mettre à bas la société argen­tine. Le plus vio­lem­ment et le plus spec­ta­cu­lai­re­ment pos­sible. Dis­sé­mi­ner le cho­léra dans les casernes mili­taires, tirer à coup de canon sur les édi­fices public, fusiller le maxi­mum de per­sonnes, bref, faire régner la ter­reur, la vraie.
Pour finan­cer cela, ce sera simple, un réseau de mai­sons closes sera ins­tallé dans tout le pays et l’argent généré ser­vira à ache­ter les armes. Pour orga­ni­ser cela, il fau­dra des hommes d’exception, prêts à se sacri­fier, une armée furieuse, sept fous.

Sur le plan poli­tique c’est le bazar com­plet. On se réfère à l’anarchisme, au Ku Klux Klan, à Lénine, à Mus­so­lini ou d’autres dic­ta­teurs de l’époque, moins pour leur idéo­lo­gie que pour leur capa­cité à mani­pu­ler les foules. Une louche de mys­tique lorsqu’il en faut (tout en rêvant d’étriper les curés). Et du men­songe, beau­coup de men­songes. Ce qu’ils cherchent sur­tout, c’est faire payer à la société argen­tine toutes les mal­heurs dont ils sont les vic­times. Et prendre leur revanche.
Le per­son­nage prin­ci­pal par exemple, modeste employé, ren­voyé car il piquait dans la caisse, pla­qué par sa femme qui lui pré­fère un mili­taire un peu plus digne et un peu moins misé­rable. Il rêve d’être inven­teur, il a plein d’idées mais aucun finan­ce­ment. C’est un minable, un lâche, qui espère un jour se laver de toutes les humi­lia­tions qu’il a subies, être enfin reconnu à sa juste valeur. Quitte à voler et tuer pour cela, ce sera une baga­telle par rap­port à ce qu’il a vécu, après tout, les vic­times l’auront bien mérité, et en en plus ça l’amusera. Voilà. Une belle bande d’enragés.

Et le livre est à cette image. Indomp­table, fouillant avec la même vora­cité le dédale des quar­tiers mal famés et les méandres des esprits tor­tu­rés qui les peuplent. Tout n’y est que décombres et per­di­tion, rage et déses­poir. Le constat est sans appel, par delà les cartes pos­tales de dan­seurs de tango et l’impressionnante richesse du pays, il y a une huma­nité que l’on se force à oublier mais qui est là, prête à se rebel­ler même si ses moyens sont déri­soires.
Mais plus le livre avance plus on a l’impression que les cartes pos­tales n’existent pas, tout le monde ici est réel­le­ment, tota­le­ment fou, l’Argentine est un pays malade. Fina­le­ment, cette entre­prise de démo­li­tion a sa logique.

Jour­na­liste et écri­vain, Roberto Arlt (1900 — 1942) ne semble pas cher­cher à plaire à qui que ce soit, il tente juste de décrire ce qu’il voit de Bue­nos Aires et ce qu’il y res­sent. Il y met les moyens : une langue ter­ri­ble­ment ancrée dans la réa­lité por­tègne* de l’époque, ajou­tée à une écri­ture rageuse et déstruc­tu­rée, le tout sau­pou­dré de thèmes fort peu recom­man­dables (misère urbaine, maque­reaux sinistres et voyous à la dérive).
Cock­tail explo­sif qui fit plus ou moins pas­ser l’auteur pour le chien galeux des lettres argen­tines. Il n’en avait cure, il per­sista et donna une suite à ces Sept Fous. Une suite au titre mena­çant : Les Lance-Flammes. Tout un programme.

Mat­thias Jullien

*Désigne tout ce qui est rela­tif à Bue­nos Aires

   
 

Robert Arlt, Les Sept Fous, tra­duit de l’espagnol (Argen­tine) par Isa­belle et Antoine Ber­man, coll. “Lit­té­ra­ture étran­gère”, Bel­fond, août 2010, 384 p. — 20,50 €

Leave a Comment

Filed under Non classé, Romans

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>