Christian Prigent, Ça tourne

Work in proress

Ces « car­nets de régie » contiennent des extraits des notes de  Grand-mère Qué­quette, Demain je meurs et de Météo des plages. Ils per­mettent d’approcher la fabrique des textes par « plans de décou­pages, apar­tés pen­sifs, faits-divers pour rire, cata­logues d’outils, listes de com­mis­sions, sou­ve­nirs en vrac, registre des pro­grès, geinte quand ça patauge, post-it et pense-bête, NB pour mémoire, docs à tout hasard, cro­quis de cas­ting, élé­ment des scripts, rele­vés de sites, réglages des chro­nos, pré­cis de mon­tages, théo­ries fur­tives, phrases pour déclen­cher, phra­sés embrayeurs, départs avor­tés, pre­miers tours de chauffe, vroum-vroum du moteur ». Bref, tout ce qu’il convient de com­pi­ler afin que “ça tourne”  enfin dans une éco­no­mie sur laquelle l’auteur lève le voile.

Chris­tian Prigent nous plonge dans une grotte. Pas n’importe laquelle : non celle de l’ogre mais celle de ses visions, com­pul­sions et hal­lu­ci­na­tions. Ce sont des sortes d’orgues à prières athées dont le « latin » résonne avant que par­fois l’auteur les biffe par temps d’orage et d’opprobre afin de recréer un théâtre qui n’a rien de maso­chiste où l’écriture est avant tout une expé­rience du corps. Et qu’importe si ce qui est lu est cru en dehors de toute ins­tru­men­ta­li­sa­tion poli­tique et sociale. Le tout dans un jeu que le titre indique et qui ins­truit sur ce qu’il en est de la littérature/femme : fée, déesse, lumière ou sim­ple­ment chose…

Des bribes de pro­so­die ou de poèmes, des choses s’accumulent, finissent par coa­gu­ler en textes « on ne sait jamais trop ni quand ni com­ment » dit l’auteur, mais peu à peu cela prend en tant que livre. Le temps de lier et d’articuler le tout, en déga­geant une forme de logique et dans l’homogénéisation d’une forme. Elle prend la tan­gente du loin­tain dans l’esprit de Nietzsche lorsqu’il parle de « pathos de la dis­tance ».
L’être est là, « en haut et en bas ». Bref, tout cela est phi­lo­so­phique mais drôle à l’extrême. Le per­son­nage emblé­ma­tique de Prigent devient « homme de tout homme, homo natura » en quelque sorte. Et selon une pudeur para­doxale se déve­loppe un pro­ces­sus de régu­la­tion ryth­mée du temps de tra­vail dont l’auteur offre ici le chantier.

jean-paul gavard-perret

Chris­tian Prigent,  Ça tourne ‚ coll. « Pré­oc­cu­pa­tions », Edi­tions de l’Ollave, Paris, 2017, 70 p. — 14,00 €.

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