Véronique Sales, Retour dans le Limousin

Un livre admi­rable, à recom­man­der à tous ceux qui croient qu’il n’y a plus de grands écri­vains en France

 Débar­quant à Paris de son Limou­sin natal, le jeune Lazare est accueilli par son cou­sin André, qui l’introduit dans son milieu feu­tré. Se rap­pro­chant tour à tour des dif­fé­rents membres qui com­posent ce cercle très fermé et régi par des règles bien éta­blies (André don­nait le ton de ce qu’on devait pen­ser une fois qu’on était reçu chez lui), Lazare découvre et dévoile un monde où l’amitié n’est qu’une façade. Il s’attache d’abord à Albert, un misan­thrope qui observe le monde exté­rieur par sa fenêtre et l’imagine « cruel et livré au mal ». On a du mal à com­prendre d’où il peut tenir une telle idée…
Puis viennent les amours fémi­nines, avec l’apparition d’Anne, qui n’aspire qu’à boire « les paroles et les pen­sées de son amant », mue par un « désir de s’instruire à quelque prix que ce fût », elle que l’on a édu­quée dans la méfiance du livre, « un ins­tru­ment de cor­rup­tion » dont « un indi­vidu averti devait pou­voir [se] passer ».

Avide d’apprendre, donc, Anne, la femme-buvard se mue en femme-miroir, qui n’éprouve pour son Pyg­ma­lion « aucun élan », étant tout juste capable de réflé­chir l’attachement qu’on lui por­tait. La seule réflexion à laquelle elle consen­tît, puisque « réflé­chir l’ennuyait ». Lazare pré­sente l’intérêt de lui évi­ter cette pénible tâche en lui appor­tant une série d’idées toutes faites qu’il aime à lui répé­ter. Mais, comme l’indécrottable pes­si­miste qu’est Lazare l’avait prévu dès le départ, l’histoire prend fin. Et Lazare, pour qui les femmes sont autant de pro­jets à réa­li­ser, se met en quête d’une autre œuvre. Il jette son dévolu sur l’une des dés­œu­vrées proches de son cou­sin André : il se disait à pré­sent qu’il pour­rait mener à bien un pro­jet plus humble : rendre à Suzanne sa jeu­nesse.

Ce cane­vas habi­le­ment tissé n’est que pré­texte, chez Véro­nique Sales, au déploie­ment d’une atmo­sphère pleine d’ambiguïtés et de secrets, où les per­son­nages s’adonnent à leur sport favori : édu­quer autrui, le mode­ler à son image, non­obs­tant un manque évident d’intérêt pour les indi­vi­dus. Les lieux, plus que les gens, sont source d’émotions, par les sen­sa­tion qu’ils pro­voquent ou les sou­ve­nirs qu’ils ramènent. Lazare déve­loppe en outre un véri­table goût du mal­heur, « une incli­na­tion […] à voir les choses sous leur plus mau­vais jour ».
Dans un milieu où le paraître compte plus que l’être, mieux vaut être mal­heu­reux, si cela signi­fie que l’on par­lera de vous. C’est là un autre point com­mun de ces créa­tures : la peur du néant, dans lequel on risque de tom­ber — en vivant à la cam­pagne, en ne rece­vant plus, ou en mou­rant. Cha­cun tisse donc la toile dans laquelle il tente de prendre ceux qui lui ser­vi­ront d’observateurs, de faire-valoir, de commentateurs.

On ne parle jamais assez de Véro­nique Sales, dont chaque livre est pour­tant un pro­dige de sub­ti­lité et de cruauté, mené par une écri­ture unique en son genre. C’est aux Edi­tions du Revif que nous devons la bonne idée de cette fin d’année, avec la repu­bli­ca­tion de ce roman devenu introu­vable. Voilà bien une mai­son qui mérite qu’on lui accorde toute notre atten­tion et notre confiance, tant ses choix édi­to­riaux — si variés qu’ils soient — s’avèrent fiables pour leur qua­lité et le plai­sir qu’ils ne manquent pas de nous procurer.

agathe de lastyns

   
 

Véro­nique Sales, Retour dans le Limou­sin, Edi­tions du Revif, décembre 2009, 177 p. — 16,00 €, ISBN : 978–2-35700–004-9

 
     
 

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