Don DeLillo, L’Homme qui tombe

Don DeLillo s’obstine à pro­duire un roman non roma­nesque sur le 11/09/01

Une renais­sance qui tarde à venir

Cet énième opus dédié au 11 Sep­tembre 2001 déce­vra ceux que lasse l’exploitation édi­to­riale du filon du ter­ro­risme. À par­tir du choix nar­ra­tif consis­tant à s’intéresser aux consé­quences du séisme sur des vies amé­ri­caines épar­pillées, les dif­fé­rentes voix qui des per­son­nages qui s’expriment ici après l’effondrement des tours du World Trade Cen­ter ne trouvent guère de des­ti­na­taires ; pas plus chez le lec­teur abruti de tant de poly­pho­nie volon­ta­riste que chez Keith, Lilianne et les autres per­son­nages désem­pa­rés de tant de des­truc­tion.
Alors, qu’un grand roman­cier tel que Don DeLillo veuille à sa façon rendre compte des véri­tables fiss­sures : celles des familles amé­ri­caines, pour­quoi pas ? mais nous aurions aimé dis­po­ser de plus de fils direc­teurs — afin, par exemple, de rendre plus expli­cite dans ce contexte la for­mule sar­trienne selon laquelle “le sur­gis­se­ment d’autrui est tou­jours pour moi une chute onto­lo­gique” — plu­tôt que d’être aban­don­nés, nous aussi, pauvres pan­tins de papier, aux ruines et cendres de Ground Zero.
Ce n’était plus une rue mais un monde, un espace-temps de pluie de cendres et de presque nuit.

Si donc de belles pages affleurent quant à l’oubli impos­sible face au trau­ma­tisme, les affres du retour à la nor­male ne sau­raient suf­fire à jus­ti­fier les méandres sybillins de la nar­ra­tion, notam­ment lorsqu’elle s’égare dans les mornes com­men­taires d’une cohorte de patients atteints d’Alzheimer — déjà décollés/décalés de la vie par défi­ni­tion : à quoi bon en rajou­ter ? Certes retiendrons-nous le pos­tu­lat que la civi­li­sa­tion se tient tout entière dans sa mémoire et ses mots, les­quels peuvent tou­jours nous échap­per et deve­nir sans réfé­rent (d’où la redou­table ques­tion, hélas ! non appro­fon­die : peut-il y avoir une cathar­sis de l’espace inté­rieur ?).
Il n’empêche, ces dis­cus­sions de sourds répé­tées  fatiguent à la longue, quand bien même le pro­jet roma­nesque viserait-il sciem­ment à explo­ser la struc­ture tex­tuelle au regard de ce qui est dis­so­lu­tion du monde comme de l’âme. Même si l’Homme qui tombe (en ren­voi au per­for­meur cos­tumé du même nom tra­qué par la police qui se sus­pend en signe de pro­vo­ca­tion dans la pos­ture des vic­times des tours) a le mérite, indé­niable, de mettre en forme les trau­ma­tismes mêmes d’une Amé­rique désor­mais malade, la mèche fait long feu. Sur­tout lorsque le roman­cier croit oppor­tun de faire état du credo des ter­ro­ristes…
C’est un peu curieux de la part d’un auteur qui a tant de fois anti­cipé sur toutes les menaces apo­ca­lyp­tiques frap­pant la terre et qui semble s’obstiner à pro­duire un roman non roma­nesque tout en frag­ments. Mais c’est ainsi.

fre­de­ric grolleau

Don DeLillo, L’Homme qui tombe (tra­duit de l’américain par Marianne Véron), Actes Sud coll. “Lettres anglo-américaines”, avril 2008, 297 p. — 22,00 €.

 

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