Discrètement provocante, l’œuvre d’Anne-Sophie Viallon développe des codes équivoques par interactions de divers techniques et matières dont la couture et le textile. Cela produit des détournements audacieux : le passé empiété comme le futur en latence créent la dématérialisation de l’art mais aussi du monde. Restent des éléments perdus, épars et joints, des solitudes aussi. Sous leurs vagues, d’autres ondes offrent la possibilité de sortir des tempêtes. Les traits discrets traversent l’infini des supports et leurs courbes deviennent des caresses au milieu de plages qui semblent infinies.
L’artiste a exposé « Ce qu’il nous reste » au Cabinet de Curiosités de l’Artithèque du Pôle culturel Chabran de Draguignan en janvier et février 2017.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le réveil ! Je suis une dormeuse et puis après l’odeur du café… sic…. mais surtout, l’impatience de mettre sur papier le reste de mes rêves nocturnes.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Ils sont toujours là, je ne les ai pas réalisés, je persiste à continuer de les rêver… une prolongation de l’enfance en quelque sorte !
A quoi avez-vous renoncé ?
A changer le monde !
D’où venez-vous ?
J’ai des origines méditerranéennes : italiennes et espagnoles… de familles plus que modestes. Je sais où je suis née : dans le Nord de la France mais je ne me sens pas vraiment de quelque part en particulier, je suis de l’endroit où je vis, je passe ! Je ne vais pas rester !
Qu’avez-vous reçu en « héritage » ?
Une hypersensibilité à presque tout… Ca peut être une bonne chose parfois !
Qu’avez-vous dû “plaquer” pour votre travail ?
Avec regrets, mes parents qui sont restés dans le Nord.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Un café mais je crois que je l’ai déjà dit, et puis la musique, impossible de vivre sans.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Difficile de répondre à cette question… Au moment présent, ce serait peut-être de ne pas avoir envie de donner des leçons. J’ai toujours un recul face aux artistes moralistes. Je connais le pouvoir de l’image et l’idée même de donner à penser de manière fermée et unique me dérange.
L’art est un acte politique mais pas politicien. Ca me paraît important d’en avoir conscience.
Comment définiriez-vous votre approche du textile ?
A ce jour, indissociable du trait dessiné ! Le textile, le fil m’accompagne depuis toujours : je me souviens très fréquemment des odeurs des vêtements de mon enfance lorsque je choisis un tissu pour commencer un dessin ou une forme. C’est une approche très sensuelle au premier abord.
D’autre part, le textile et plus particulièrement le vêtement (cf. chemises de bébé, robe de communiante) est un moyen d’abstraire le corps, une façon de le suggérer sans le montrer, de parler de lui sans le matérialiser, de le faire parler de lui également.
Il devient support, point de départ pour ce qui est du vêtement et soutien, soulignement, appui pour ce qui est du fil qui devient trait.
Enfin, cette approche se veut un « au-delà » du textile, un « au-delà « d’une pratique autrefois essentiellement féminine et utilitaire : le textile, le fil deviennent des médiums de revendication et cela grâce à des artistes textiles emblématiques comme Sheila Hicks, Louise Bourgeois etc..
Quelle fut l’image première qui esthétiquement vous interpella ?
Un carton d’invitation à l’inauguration du musée du Lam de Villeneuve d’Ascq de 1983 (je l’ai encore dans mes archives). Je voyais pour la première fois une œuvre non figurative, une œuvre de Miro. Une énorme claque : on pouvait donc faire des tâches, choisir de faire des traits sans essayer de copier quelque chose. Liberté totale !
Et votre première lecture ?
Je ne me souviens plus trop mais très jeune, j’adorais les contes et notamment “Hansel et Gretel”, magnifiquement sordide, dérangeant… ambigu…
Quelles musiques écoutez-vous ?
Du jazz, Satie, du rock, de la musique Perse, du classique… de tout !
Quel est le livre que vous aimez relire ?
« L’île aux trente cercueils » de Maurice Leblanc, ce livre respire la Bretagne, région que je ne connais pas du tout ! Mais lorsque je le lis, je suis transposée devant une toile de Gauguin, sur le bord d’une falaise, en pleine tempête…
Quel film vous fait pleurer ?
« Hiroshima mon amour » ! Sublime !
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Rien. Je ne me vois pas. Je n’aime pas cette image dans le miroir.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A mon premier amour.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Deux villes sont mythiques pour moi, c’est assez banal : Paris et Berlin.
Quels sont les écrivains et artistes dont vous vous sentez le plus proche ?
Côté écrivain, sans hésiter Maupassant : court, précis, concis et efficace. Côté artiste : je ne sais pas, il y en a tant ! Il y a des artistes qui me semblent incontournables et qui ne me lassent pas : Calle, Bourgeois. Des femmes, tiens ???
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un voyage dans le temps : un dans le futur et un dans le passé. Donc deux !!!
Que défendez-vous ?
La liberté, plus que jamais, dans un contexte où tout se réglemente à outrance. Elle apparaît de plus en plus menacée et conditionnée…
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Ce que « l’on n’a pas » provoque toujours le désir, il me semble. C’est un moteur, une dynamique, une mise en action, un appât, une espérance. Donner cet espoir à quelqu’un qui n’en veut pas relève de l’impossibilité acceptée de façon mutuelle. Il n’y a pas de raisonnement logique. L’amour ne se raisonne pas.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Je détestais W. Allen, jusqu’au jour où j’ai découvert Michel Boujenah dans « Après tout si ça marche… » une adaptation de « Whatever Works » et j’ai plongé… c’est le maître de la question : ses œuvres ne sont que questions ! Celle-ci me parle forcément : les questions ont une place centrale dans mon travail. Le « oui mais » est une forme de rébellion « gentille », genre “tu as raison mais…”, une résistance… Mais elle montre également l’absurdité de la vie… des questions auxquelles on essaie de répondre et qui n’auront plus d’importance un jour.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
La dernière ? sic…
Entretien et présentation réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 18 mars 2017.