Un roman qui dresse un portrait vitriolé de la jeunesse américaine d’ajourd’hui — et fustige nos tendances à pécher par orgueil
Avec Moi, Charlotte Simmons — un portrait au vitriol d’une jeunesse américaine décadente - Tom Wolfe réussit un véritable coup de maître. Quand la jeune ingénue Charlotte Simmons, venue de Sparta - un hameau de neuf cents habitants sis derrière les Montagnes bleues — débarque à Dupont, l’une des plus prestigieuses universités américaines (Dupont pour ne pas dire Stanford) on assiste, jouissivement, au grand choc des cultures.
À travers ce roman initiatique déployé sur un fond de satire sociale, Tom Wolfe décortique prodigieusement les us et coutumes d’une armada d’adolescents éteints, gorgés de bière, libidineux et sans surprise. Si bien que l’on se rend vite compte qu’il y a peu de prodiges et de grandes âmes sur les bancs de cette fabrique à élite. Et l’on apprend beaucoup sur les mœurs parfois étranges des ados outre-Atlantique : le “dorceste”, le “sexile”… ces termes ésotériques n’auront plus de secrets pour vous car Tom Wolfe vous emmène au cœur des foules.
La vertueuse et virginale Charlotte Simmons, qui jusqu’alors errait en solitaire dans les hautes sphères du savoir, s’enivrant de culture et de connaissances, vendra-t-elle son âme pour jouir un peu de cet improbable Graal qui lui échappe : la “coolitude” tant convoitée ?
En filigrane de ce dilemme existentiel que sera l’aventure de Charlotte, se dessine un thème cher à l’auteur qui, mieux que quiconque, narre avec brio et justesse la faillite de l’homme qui se prend au piège du fatal péché d’orgueil.
Vanité, vanité, tout n’est que vanité (L’Ecclésiaste). Dans la digne ligne du Bûcher des vanités, on peut encore goûter au plaisir extatique de voir Tom Wolfe éplucher les vertiges causés par nos inexorables vanités humaines…
Grand cru de la littérature américaine, aventure épique , Moi, Charlotte Simmons est aussi un incroyable portrait de la société américaine contemporaine. Car prendre la mesure de ce choc des cultures qui se joue au fin fond de ces universités — prestigieuses mais non moins titubantes - est fondamental pour saisir l’Amérique d’aujourd’hui.
Et c’est là que Tom Wolfe va plus loin et ne se cantonne pas au roman d’apprentissage. Car sur ces bancs, se joue une féroce bataille : celle des “États bleus” (côtes Est et Ouest des États-Unis à majorité démocrate) contre les “États rouges” (le cœur de l’Amérique, à forte tendance républicaine). C’est la rencontre d’une Amérique profonde, morale, rustique, traditionnelle et puritaine avec une Amérique cosmopolite, avant-gardiste, épicurienne, consommatrice et ostentatoire.
C’est cette Amérique faussement manichéenne, tiraillée par d’incernables luttes identitaires et qui idolâtre ses grands mythes fondateurs comme ses icônes de pacotille, c’est cette Amérique profondément schizophrène que nous livre en pâture Tom Wolfe, réconciliant les fous d’Amérique comme ses pires détracteurs, autour d’un roman… royal !
sonia rahal
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Tom Wolfe, Moi, Charlotte Simmons (traduit par Bernard Cohen), Robert Laffont coll. “Pavillons”, mars 2006, 651 p. — 24,00 €. |
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