Arto Paasilinna, La douce empoisonneuse

Rien de tel que l’adrénaline pour oublier qu’on est née en 1910 ! Com­ment trans­for­mer l’adversité fin­lan­daise en source burlesque…

Il est trois heures du matin à Har­misto, pai­sible bour­gade à cin­quante kilo­mètres d’Helsinki, et le vieux cœur de Lin­nea Ravaska pal­pite à cent à l’heure.Des beu­gle­ments avi­nés montent vers le ciel noc­turne en pro­ve­nance du petit sauna gris au fond du jar­din. Au fond de son lit, la veuve du colo­nel serre son chat contre sa maigre poi­trine et mau­dit en silence le jour de paye de sa pen­sion, car régu­liè­re­ment, il lui vaut la visite de Kauko Nyyssö­nen, son neveu et seule famille. Flan­qué de plu­sieurs packs de bière.

Le mâle trio était en route pour une par­tie de sauna chez la tan­tine de Kake. 

Tandis les trois robustes gaillards cra­pa­hutent le cul à l’air dans les plates-bandes de sa mai­son­nette rouge en vomis­sant sur les fleurs, la retrai­tée les observe par la fenêtre et regrette l’absence de son défunt mari en mau­dis­sant la fai­blesse du grand âge. 

D’une infi­nie fatigue à une inex­tin­guible haine 

Il vient tou­jours un moment où l’on com­mence à man­quer de dis­cer­ne­ment, puis de bois­son.Cette loi de la nature made in Fin­lande illustre tout à fait le com­por­te­ment des vau­riens fêtards, qui après avoir sac­cagé la mai­son et pillé les envi­rons, finissent par vider les lieux à la recherche d’autres exac­tions. Cette fois-ci, ils ont pour­tant abusé : la vieille dame tran­quille a subi une humi­lia­tion de trop. De la rage ou du déses­poir, on ne sait trop ce qui l’emporte alors qu’elle s’enfonce dans la forêt, aban­don­nant avec pré­ci­pi­ta­tion ses pauvres pénates. Ca ne peut pas durer, elle veut en finir.Mais les his­toires signées Arto Paa­si­linna excellent à trans­for­mer l’adversité en source bur­lesque : au fond des bois, dans le plus simple appa­reil, le vieux corps de la colo­nelle est revi­goré par les eaux du lac nor­dique, et elle retrouve suf­fi­sam­ment de vigueur pour trot­ti­ner jusqu’à l’épicerie du vil­lage et pré­ve­nir la police qui fait promp­te­ment preuve de son incom­pé­tence. S’estimant trahi dans ses plus intimes liens fami­liaux, Kake se met en tête de faire pas­ser sa cruelle mémé de vie à tré­pas. Fina­le­ment, tout le monde repart quand même pour Hel­sinki : Lin­nea Ravaska trouve un confor­table refuge et une épaule com­pré­hen­sive chez un vieil ami méde­cin, Kake et ses aco­lytes regagnent leur quar­tier géné­ral, une cave squat­tée dans laquelle ils éla­borent un plan de vengeance.

Le bras trem­blant du karma finnois

Démo­ra­li­sée par la tour­nure des évè­ne­ments, la vieille dame s’en prend à la phar­ma­co­pée de son hôte. Le hasard et la plume mali­cieu­se­ment sur­réa­liste d’Arto Paa­si­linna vont faire le reste : de sui­ci­daire, la veuve du colo­nel devient cri­mi­nelle. Et s’il faut en pas­ser par là pour sur­vivre, Lin­nea n’hésitera pas long­temps : rien de tel qu’une dose d’adrénaline pour oublier qu’on est née en 1910. Le fait est qu’elle se contente de se défendre, quoiqu’en pense son neveu, les vieux ont encore le droit de vivre, sur­tout quand ils en trouvent le moyen.

Sur le papier, dans cette nou­velle édi­tion de poche comme dans l’originale de 2001, la douce empoi­son­neuse n’a nul besoin d’un cor­don sécu­ri­taire à la Sar­kozy pour faire face aux trois jeunes mal­frats fin­lan­dais. Il faut dire que chez eux la bêtise et la méchan­ceté se dis­putent le podium, même s’ils ont une idée radi­cale de la réforme des retraites, ces révol­tés du sys­tème social de ce pays de trous du cul.

C’est tout l’art humo­ris­tique d’Arto Paa­si­linna, confirmé sur une ving­taine de romans : faire rire en dépit d’une situa­tion bru­ta­le­ment réelle, dans une société qui aban­donne ses valeurs. La rai­son du plus faible l’emporte avec un happy end, la morale est sauve. Gageons cepen­dant que tous les pro­ta­go­nistes se retrou­ve­ront en Enfer, l’heure venue, comme en tout temps et à jamais tout membre tré­passé de tout peuple d’origine fin­noise

s. legrand

   
 

Arto Paa­si­linna, La douce empoi­son­neuse (tra­duit du fin­nois par Anne Colin du Ter­rail), Gal­li­mard coll. “Folio” n°3830, mars 2003, 254 p. — 5,10 €.
ISBN : 2–07-042577–0

 
     
 

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