Rien de tel que l’adrénaline pour oublier qu’on est née en 1910 ! Comment transformer l’adversité finlandaise en source burlesque…
Le mâle trio était en route pour une partie de sauna chez la tantine de Kake.
Tandis les trois robustes gaillards crapahutent le cul à l’air dans les plates-bandes de sa maisonnette rouge en vomissant sur les fleurs, la retraitée les observe par la fenêtre et regrette l’absence de son défunt mari en maudissant la faiblesse du grand âge.
D’une infinie fatigue à une inextinguible haine
Il vient toujours un moment où l’on commence à manquer de discernement, puis de boisson.Cette loi de la nature made in Finlande illustre tout à fait le comportement des vauriens fêtards, qui après avoir saccagé la maison et pillé les environs, finissent par vider les lieux à la recherche d’autres exactions. Cette fois-ci, ils ont pourtant abusé : la vieille dame tranquille a subi une humiliation de trop. De la rage ou du désespoir, on ne sait trop ce qui l’emporte alors qu’elle s’enfonce dans la forêt, abandonnant avec précipitation ses pauvres pénates. Ca ne peut pas durer, elle veut en finir.Mais les histoires signées Arto Paasilinna excellent à transformer l’adversité en source burlesque : au fond des bois, dans le plus simple appareil, le vieux corps de la colonelle est revigoré par les eaux du lac nordique, et elle retrouve suffisamment de vigueur pour trottiner jusqu’à l’épicerie du village et prévenir la police qui fait promptement preuve de son incompétence. S’estimant trahi dans ses plus intimes liens familiaux, Kake se met en tête de faire passer sa cruelle mémé de vie à trépas. Finalement, tout le monde repart quand même pour Helsinki : Linnea Ravaska trouve un confortable refuge et une épaule compréhensive chez un vieil ami médecin, Kake et ses acolytes regagnent leur quartier général, une cave squattée dans laquelle ils élaborent un plan de vengeance.
Le bras tremblant du karma finnois
Démoralisée par la tournure des évènements, la vieille dame s’en prend à la pharmacopée de son hôte. Le hasard et la plume malicieusement surréaliste d’Arto Paasilinna vont faire le reste : de suicidaire, la veuve du colonel devient criminelle. Et s’il faut en passer par là pour survivre, Linnea n’hésitera pas longtemps : rien de tel qu’une dose d’adrénaline pour oublier qu’on est née en 1910. Le fait est qu’elle se contente de se défendre, quoiqu’en pense son neveu, les vieux ont encore le droit de vivre, surtout quand ils en trouvent le moyen.
Sur le papier, dans cette nouvelle édition de poche comme dans l’originale de 2001, la douce empoisonneuse n’a nul besoin d’un cordon sécuritaire à la Sarkozy pour faire face aux trois jeunes malfrats finlandais. Il faut dire que chez eux la bêtise et la méchanceté se disputent le podium, même s’ils ont une idée radicale de la réforme des retraites, ces révoltés du système social de ce pays de trous du cul.
C’est tout l’art humoristique d’Arto Paasilinna, confirmé sur une vingtaine de romans : faire rire en dépit d’une situation brutalement réelle, dans une société qui abandonne ses valeurs. La raison du plus faible l’emporte avec un happy end, la morale est sauve. Gageons cependant que tous les protagonistes se retrouveront en Enfer, l’heure venue, comme en tout temps et à jamais tout membre trépassé de tout peuple d’origine finnoise…
s. legrand
Arto Paasilinna, La douce empoisonneuse (traduit du finnois par Anne Colin du Terrail), Gallimard coll. “Folio” n°3830, mars 2003, 254 p. — 5,10 €. |
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