Une vision borderline de la mort
Nouvelle venue dans les colonnes du Litteraire, Isabelle Viry, lectrice passionnée, est aussi webdesigner et illustratrice indépendante.
A l’occasion du centenaire de la naissance de l’écrivain, voici pour la plus grande joie des lecteurs français, ces 49 nouvelles de Dino Buzzati, l’auteur italien du Désert des Tartares, des Sept messagers ou encore de L’écroulement de la Baliverna, dont la nouvelle Le K est restée la plus célèbre.
Né en 1906, mort en 1972, Dino Buzzati est unanimement considéré aujourd’hui comme l’un des plus grands écrivains italiens. Il a publié ses nouvelles dans divers journaux italiens sous forme de brèves. [… ], l’espace privilégié de l’écriture buzzatienne au sein des pages du journal est celui de l’elzeviro. En italien, ce terme désigne un texte publié sur la première — ou les deux premières — colonnes de la page culturelle des quotidiens : essai, critique, réflexion, récit. Au fil du temps , l’elzeviro est devenu avant tout un texte littéraire signé par des écrivains reconnus. La majorité des « Nouvelles inquiètes » sont des elzeviri. » (citation tirée de la préface de Delphine Gachet) et ont été écrites entre 1936 et 1971, couvrant la presque totalité de la vie d’écrivain de Dino Buzzati.
Ce qui m’a fascinée dans l’univers de ce recueil de nouvelles c’est le fil conducteur « surnaturel » des sujets de ces récits. Tous, ou presque ont pour point commun de comporter une vision un peu « borderline » de la mort. Chaque héros ou héroïne se retrouve confronté(e) à une situation digne d’un épisode de X-Files avant l’heure. « Je suis gros, et alors ? » : où comment on peut douter d’un soudain changement d’attitude des gens à son égard… « Impressionnable » : où un homme, à partir d’une simple allusion lancée lors d’une rencontre fortuite par une ancienne connaissance dans la rue va voir sa vie et sa santé basculer jusqu’au drame. « Grève du mal » : où le Démon décide de se retirer, où l’activité maléfique s’interrompt d’une minute à l’autre, où après quelques mois d’allégresse et de triomphe, les choses commencèrent à se gâter …quelle est la conséquence de la démission totale du Mal ? (ma nouvelle préférée de ce recueil, un bijou) : Mais après quelques mois d’allégresse et de triomphe, les choses commencèrent à se gâter. On constata que même l’éradication du mal avait des inconvénients. On prévoyait par exemple que de nombreuses catégories de personnes allaient se retrouver au chômage. Aux agents et fonctionnaires de la sécurité publique, aux carabiniers, aux magistrats, au personnel des pénitenciers, l’Etat certes garantirait un autre emploi, ou même une pension de retraite dans le cas où une reconversion se révèlerait impossible. Mais les avocats, qui leur donnerait leur pain quotidien ? Du fait de la disparition totale des litiges, même les affaires civiles devenaient rares comme des merles blancs.
Sous forme de petites histoires dignes de la rubrique des chiens écrasés, Dino Buzzati se fait le témoin du côté sombre de l’âme humaine. Il raconte des faits divers et variés surréalistes ou issus d‘un monde fantastique qui nous ravit, nous fait frissonner ou, au pire, nous terrorise le temps d’une nuit. Sous le signe de l’intranquillité, ce recueil d’histoires troublantes met en scène les grands thèmes chers à l’enchanteur transalpin.
isabelle viry
Dino Buzzati, Nouvelles inquiètes, traduit de l’italien par Delphine Gachet, 10/18 Domaine Etranger, Décembre 2008, 388 p. — 8,60 €. |
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