Le deuxième temps de Joyeux Animaux de la Misère poursuit une même veine, coruscante, implacable, animale. La question de l’identité y est posée à des années lumières des rodomontades politiciennes. L’auteur fait ressurgir le corps sous effet d’attraction des forces contraires de vie et de mort, de bien et de mal. L’homme devient putain (mot masculin s’il en est chez Guyotat), à proximité des ports et des chantiers, dans des restes d’immeuble où des êtres viennent pour divers « voyages ». « Salope » se transforme en mot sinon d’amour, du moins de tendresse dans un monde de raies, de chiens, et d’enfilades. En ses incantations le langage s’enfonce dans le corps esclave, joyeux, toujours en chasse.
Une nouvelle fois fidèle à son art poétique, Guyotat cultive une langue qui se lit “à l’oreille”, au plus près de la parole. En une approche minutieuse et qui n’a rien de sauvage ou d’ébouriffée. Parler le livre, c’est l’inscrire et l’instruire dans une autre mélodie de la langue dans le rapport qu’elle entretient avec le corps et la sexualité au moment où le livre sort de la période de l’adolescence pour atteindre les bas-fonds de l’âge adulte au sein d’une obscénité non larvée mais qui n’a rien de bravache.
Partout perce le théâtre intrinsèque de cette écriture-sperme jaillissant en « Labyrinthe-Guéhenne ». Et ce, une fois de plus, dans l’attente de Histoires de Samora Machel, œuvre annoncée il y a déjà plus de trois décennies et évoquée plus d’une fois dans Coma si cher à Chéreau. Pour l’heure, le tome 2 des Animaux écrit dans « le présent de l’écriture » convoque en « langue aisée » le proféré transgressif. La parole ample est souffle et houle qui arrache tout sur son passage.
jean-paul gavard-perret
Pierre Guyotat, Par la main dans les Enfers — Joyeux animaux de la misère II, Gallimard, Hors série Littérature, 2016.