Sous une histoire de faux jumeaux historiques à l’identité heureuse mais que tout oppose, Quignard n’éprouve aucune appartenance de territoire (à ce titre il n’est guère « Gaulois »…) sinon à celui de la langue qui l’intéresse : la française. Dès lors, son choix est fait : il prend parti pour le jumeau à la recherche de la langue au détriment de celui qui va à la rencontre de « La femme ». Les deux trajets avancent par rhapsodies, fables, fragments avant que tout finalement se rejoigne. La langue femme avant d’être maternelle recrée le gémellaire.
Intimidant, inactuel, latiniste le livre est bien plus qu’un roman et le titre Les larmes une chausse-trappe. Quignard, fidèle à lui-même, montre qu’il faut chercher son livre sous son histoire. Il s’y moque du système de la mode en introduisant au fondement d’une civilisation. La nôtre. Et dont le « roman » passe – à travers celui de l’auteur — par l’histoire à partir du « Serment de Strasbourg » qui en 842 consacre le français, suivi de la « Cantilène de Sainte Eulalie » qui en deviendra le premier chant.
Toutefois, le prologue nous amène au Mont des Oliviers. Cette diversion n’est qu’apparente : elle fait passer d’une mythologie à une autre : l’Europe Chrétienne devient descendante de l’histoire christique mais sort du tombeau par la pâque de la langue vernaculaire.
D’un « jadis » (mot clé de l’auteur) à un autre s’inscrit ce qui est pour lui à la fois propre à l’homme primitif de La nuit sexuelle et à l’intemporel scripteur. Les deux se rejoignent à travers les deux facettes de la gémellité. Le tout en un plaisir de lecture alerte au milieu de la neige et du froid et de l’anecdote plus que de l’érudition, émouvant ça et là juste afin de justifier son titre.
jean-paul gavard-perret
Pascal Quignard, Les larmes, Grasset, 2016, 224 p. — 19,00 €.