Une clarté intérieure et rare que métamorphose la poésie
Sur une photo de Lorrains prise en 1945, Geneviève Huttin (ci-contre) entame une descente et une remontée. Cette photo n’est pas plus anonyme qu’anodine : celui dont le pied se soulève du sol est le père de la poétesse. Si bien que, même si l’expression « lorrains imaginaires » n’était qu’une « tautologie car on le sait , la Lorraine n’existe pas, c’est la “Lotharingie”, le royaume des nuées, celui de Lothaire l’héritier malchanceux de l’empire de son père », Geneviève Huttin annexe celui-ci puisque — comme ce fils de prince - tout lui fut promis et très peu accordé.
Pour ce Lorrain et pour cette Lorraine perdure « la rencontre de la beauté et du malheur » : bref, comme toute vie demeurant un monde intermédiaire auquel la poétesse donne sens « entre les morts et la terre » et les interdits que — quoiqu’elle en dise — elle a su lever puisque les filles « n’héritent pas ». Ce qui reste néanmoins à prouver…
Le texte devient la confidence de certaines cruautés et manques mais évite le jeu trop souligné de l’intimité : cela porterait à une exhibition dont Geneviève Huttin se garde. Ses textes sont des seuils d’instants sans limite dans ce qu’ils rameutent de conflits, de souffrances. Tout est à la fois désacralisé et pourtant sublimé dans le mouvement d’une œuvre majeure où la notion d’opposition agissante est essentielle. Les corps palpitent, s’inclinent, descendent, deviennent des agents de l’invisible.
Le mystère est à ce prix. La poétesse en organise le discours pour entrer dans une clarté intérieure et rare que métamorphose sa poésie. A chacun d’y trouver sa lumière devant bien des abîmes murmurants au sein de phrases frémissantes et tâtonnantes. Cette clarté mène la vie du noir de nuit aux premières lueurs du jour. Une fois de plus, l’instant est sans limite. Il pleut des fils dorés. C’est là toute la part d’ombre ou de mystère de l’œuvre de Geneviève Huttin.
jean-paul gavard-perret
Geneviève Huttin, Lorrains imaginaires, Editions Tarabuste, Triages Anthologie vol. II, St Benoît du Sault, 2016, 160 p. — 20,00 €.