Dorison, Nury & Rossi, W.E.S.T. — tome 1 : “La Chute de Babylone”

Admi­ra­tion et sur­en­chère mêlées autour du pre­mier tome de la série W.ES.T publié chez Dargaud

Du gros calibre comme on aime

Réca­pi­tu­lons : le wes­tern dit popu­laire est à mon sens un genre cultu­rel se divi­sant en trois sous par­ties :
1 — le genre héroïque gueule car­rée John Ford/John Wayne
2 — le genre steam­punk rigo­lard Mys­tères de l’Ouest
3 — le genre sal­mi­gon­dis spa­ghetti à la Morricone

Brodant donc sur ces trois varia­tions, le wes­tern des­siné nous a jusqu’ici offert du cali­bré gros calibre, du Blue­berry, du Durango etc, autant de séries sou­vent qua­li­ta­tives mais qui ne sortent guère des constantes inhé­rentes à l’exercice, même si — reconnaissons-le - Blue­berry prouve depuis au moins trois tomes qu’il en est tout à fait capable. Dans la droite lignée de L’Etoile du Désert (Marini et Des­berg) et sur­tout de Boun­cer (Jodo­rowsky et Boucq), qui ont consi­dé­ra­ble­ment dépous­siéré le wes­tern par un recours mas­sif à la vio­lence, W.E.S.T. semble donc décidé à sor­tir des sen­tiers bat­tus des plaines du grand Ouest.
La recette de Dori­son et Nury ? Tout sim­ple­ment celle qui a fait la recette du Troi­sième tes­ta­ment  : offrir un éclai­rage nou­veau à un grand mythe his­to­rique en y à adjoi­gnant un second mythe tout aussi uni­ver­sel. Rien d’étonnant donc, à voir coha­bi­ter ici Wes­tern et Mythe de Faust, mariage fina­le­ment très cohé­rent dans l’univers de Dorison.

Pour le reste c’est grande action au rendez-vous, poli­tique et sor­cel­le­rie, et cas­ting de gueules pour l’équipe W.E.S.T., dont la tâche sera de libé­rer les déci­deurs de la société amé­ri­caine, embrin­gués dans un club happy few les déles­tant de leur âme contre ser­vice rendu. Tout un pro­gramme. Mal­gré le pre­mier tome d’installation, exer­cice qui pro­met sou­vent plus qu’il n’offre en défi­ni­tive lorsque la série s’achève — c’est très faus­tien comme mar­ché… — on est en confiance tant le scé­na­riste nous a prouvé par ailleurs son savoir-faire.
Chris­tian Rossi n’est pas pour rien rien non plus dans le capi­tal sym­pa­thie éprouvé pour W.E.S.T. tant son des­sin se révèle riche de nuances et d’ambiances, avec des planches écra­sées mais tou­jours dia­ble­ment lisibles. Seul bémol, des per­son­nages aux phy­siques par­fois trop stan­dar­di­sés, plus passe-partout (com­mer­ciaux ?) qui tranchent par­fois trop avec le style wes­ter­nien de l’auteur de Jim Cut­lass. Mais ne bou­dons pas notre plai­sir : entre Mys­tères de l’Ouest pour le fun un rien kitsch et L’Etoile du désert pour la vio­lence sur­na­tu­relle, W.E.S.T. nous pro­met mani­fes­te­ment quelques très belles heures de lec­ture. A suivre.

Damien Perez

W.E.S.T a été un des titres phares de l’été. Non pas seule­ment en rai­son de l’imposante cam­pagne de pub orches­trée par l’éditeur Dar­gaud, mais sur­tout au nom de la qua­lité intrin­sèque de cette aven­ture pré­vue en deux volets afin de ne pas diluer le sus­pense dans une énième série illi­mi­tée. Et du sus­pense c’est peu dire que d’affirmer qu’il y en a tant Dori­son et Nury concoctent ici un machia­vé­lique scé­na­rio qui dépous­sière le wes­tern comme jamais.
Tout com­mence par un célèbre acci­dent de train en gare Mont­par­nasse. Mais le coeur de l’intrigue se situe dans l’Amérique de la fin du XIXe siècle où des per­son­na­li­tés du gotha politico-financier issues d’un même club huppé se ” sui­cident ” (hum…) après avoir per­pé­tré une série d’actions cri­mi­nelles à l’encontre du pou­voir en place. Pour réagir devant le chaos qui menace le pays entier, un ancien haut fonc­tion­naire de la sécu­rité des USA, Richard Clay­ton, reforme un grou­pus­cule de choc, le “Weird Enfor­ce­ment Spe­cial Team “, genre Incor­rup­tibles de l’ombre.
Sur fond de conspi­ra­tion, de magie noire et d’événements para­nor­maux — un pentacle ensan­glanté appa­raît un bref temps sur le corps des vic­times avant de s’évanouir — qui happent ses notables new-yorkais en vue, le WEST devra remon­ter la piste qui mène au com­man­di­taire de ces meurtres.

Si la thèse du com­plot frap­pant Outre-Atlantique n’est pas nova­trice en soi, pas plus en bande des­si­née qu’ailleurs, la bonne idée de Dori­son et de Nury est d’avoir planté leur décor dans une sorte d’entre-deux fer­tile en repré­sen­ta­tions mul­tiples : Entre Les mys­tères de l’Ouest et X-Files, mais aussi entre L’étoile du désert et Boun­cer, cette unité de ” police ” spé­cia­li­sée dans les affaires anor­males se déploie dans une époque de l’histoire des Etats-Unis qu’on n’a pas l’habitude voir exploi­tée. Il faut dire que ser­vie par un des­sin très fin, aux cou­leurs directes et aux détou­rages très inté­res­sants de la part de Rossi, l’intrigue — très Mis­sion impos­sible, les scé­na­ristes ont l’anachronique humour d’y faire allu­sion — prend idéa­le­ment forme dans un uni­vers à mi-chemin de la conquête de l’Ouest et de la moder­nité du XXe siècle nais­sant, juste après la guerre civile qui a fait rage.
Arché­types bru­taux du mythique wes­tern contre urba­ni­sa­tion sociale d’un nou­veau mode de vivre-ensemble, Baby­lone contre New York, le com­bat pro­met d’être chaud. Reste que de l’opposition binaire de départ, western/modernité, on glisse peu à peu vers une troi­sième dimen­sion à che­val sur les deux, celle du sur­na­tu­rel faus­tien, ce qui com­mence à faire un peu beau­coup de pistes-ficelles pour le lec­teur. Au risque de tom­ber un tan­ti­net dans le fourre-tout com­mer­cial qui guette tou­jours les réa­li­sa­tions de stars telles qu’un Dori­son (réputé depuis Le Troi­sième tes­ta­ment) lorsqu’elles sont pro­pul­sées par un édi­teur à grand tirage dans une nou­velle épopée.

Mais, fran­che­ment, en dépit de quelques per­son­nage cli­chés, le résul­tat est à la hau­teur des espé­rances des uns et des autres, et le seul plai­sir de décou­vrir les planches pas­tel très riches et si bien décou­pées de Rossi jus­ti­fie qu’on s’engouffre à notre tour dans ce W.E.S.T fantastico-réaliste (eh oui, com­ment le qua­li­fier autre­ment hein ?)

fre­de­ric grolleau

Dori­son, Nury & Rossi, W.E.S.T. — Tome 1, “La Chute de Baby­lone”, Dar­gaud, 2003, 48 p. — 12,60 €.

 

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