Pierre Lartigue, Un soir, Aragon…

Collec­tion­neur, rece­leur, oise­leur de beaux chants, de grandes mémoires, conteur pré­cieux et évo­ca­teur, Pierre Lar­tigue, poète qui lève des mondes intempestifs

Ceci n’est pas la cou­ver­ture du livre (NdR)
A
ragon fut le grand Amou­reux, fut amour infini, amour de la femme, amour de tous hommes, amour de la poé­sie ; un don per­pé­tuel de soi fut son par­tage et sa loi.

Le 14 décembre 1965, Ara­gon pré­sente au monde dans l’obscurité du théâtre Réca­mier six poètes, six arcanes du deve­nir de la langue poé­tique — Jacques Garelli, Ber­nard Var­gaf­tig, Mau­rice Regnaut, André Libé­rati, Jacques Rou­baud, Pierre Lar­tigue. Une tutelle pro­di­gieuse par sa gran­deur en même temps que sa ten­dresse pour ces jeunes poètes.
Au soir du 14 décembre, au théâtre Réca­mier, six poètes dont les cadets seraient aisé­ment mes petits-fils, les aînés des enfants de mon âge mûr… (Ara­gon).

Quelques prin­temps ont séché des hivers, et, avec défé­rence, comme on com­pose un album de sou­ve­nirs, de pho­tos muettes et élo­quentes qui parlent d’elles-mêmes de toute l’émotion que l’on éprouve pour elles, Pierre Lar­tigue recèle, en col­lant, en asso­ciant des dia­chro­nies éparses et liées par le coeur, des ren­contres d’Aragon avec d’autres poètes, notant, com­men­tant légè­re­ment les phases et dou­ceurs les plus diverses de ces jours.

La ren­contre fut mer­veilleuse, qui per­met de trou­ver dans ce recueil des poèmes pleins de cha­toie­ments si divers et fas­ci­nants, poé­sie d’euphorie ver­bale, de jouis­sances sonores, de creu­se­ments sug­ges­tifs et évo­ca­teurs de mots aux réson­nances tant riches, de sen­sa­tions du monde intime et éva­nes­cent ou poli­tique et pro­blé­ma­tique jusqu’au fond foi­son­nant de la langue qui s’invente dans la parole poé­tique :
Eva bala­ti­leva,
Je sais ta nature,Eva
Eva, Eva, éva­sion
Est ta nature. Tout se vide et tout se hante.
Qui s’évade il en est tant,
Demeu­rer, c’est la mort lente,
Un par vivant.
(Mau­rice Regnaut).

Poésie d’un monde incer­tain, non décidé et qui vacille, où les mots se sécrètent, où les choses se désta­bi­lisent, poé­sie qui joue avec les pré­sences qui se changent et s’échangent, les len­de­mains atten­dus, les pas­sés qui tré­passent dou­lou­reux. Poé­sie ludico-tragique de Mau­rice Regnaut :
Et la table fleu­rie. Enola Gay, adieu, la voila rase, adieu, beaux appé­tits, adieu, cent mille adieu
ou poé­sie mélan­co­lique et offrande de Pierre Lar­tigue :
Les jours de pluie / Tout ce que j’aurai rêvé / la nuit / les murs / seront détruits,…
Ce sont les années soixante débu­tantes qui chantent pleines de cla­meurs, de joies et de tris­tesses, d’engagements, éloi­gnées d’une Guerre effoyable pour une lutte cou­vante, latente.

Sans la vou­loir réduire à l’urgence de cette époque, cette poé­sie est fête et céré­mo­nie, mar­quée d’appels, appels au départ et à l’absence, mais aussi elle sur­git à l’époque de la poé­sie nais­sante de l’Oulipo — fondé en 1960, jeu de créa­tion ver­bale, de la jouis­sance com­bi­na­toire, et en même temps de la déri­sion, grave par­fois : ce recueil est une douce ren­contre pour voir s’inventer un monde de mots, un monde de clameurs.

Lire notre entre­tien avec Pierre Lar­tigue.

s. vigier

   
 

Pierre Lar­tigue, Un soir, Ara­gon…, Les Belles Lettres, coll. “Archi­tec­ture du verbe”, 1995, 20,00 €.

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