Les œuvres de Rachel Labastie sont des fantômes : dans leur fixité, elles secouent le regard sans chercher à le séduire. Elles emportent en une sensation de vertige par la pure émergence de fragments. S’y rameute la question du temps, du reste, de la « ruine ». Tout cela tapisse l’espace de présences et d’empreintes afin de créer l’arête du seuil entre passé et présent et contre l’oubli. Il s’agit autant de ce qui se nomme, en marine, des bouées de corps morts.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
L’envie de faire. L’excitation mais aussi parfois l’angoisse.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Mon grand rêve d’enfant était de devenir un marin. Être artiste est une alternative proche. Une aventure intérieure et un affrontement physique avec la matière.
A quoi avez-vous renoncé ?
A une certaine facilité.
D’où venez-vous ?
D’une lignée composée d’histoires complexes.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
Un rapport particulier au territoire à la liberté et à l’aliénation.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Partager une histoire le soir avec mon fils.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
La même chose que ce qui me distingue des autres personnes : une individualité.
Quelle fut l’image première qui esthétiquement vous interpella ?
L’océan, puissant, immense parfois déchaîné près duquel j’ai grandi.
Et votre première lecture ?
A l’école je crois que le premier livre a été « L’enfant et la rivière ». Je serais incapable de vous en parler.
Pourquoi votre attirance vers le fragment et un certain minimalisme ?
En effet, je travaille souvent par séries où chaque pièce est à la fois autonome, a sa forme propre et s’inscrit dans un ensemble plus large. Comme l’individu dans le groupe à la fois unique mais faisant partie d’un ensemble. La question de l’individu et du groupe est une question qui m’intéresse beaucoup.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Plutôt post-rock.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
“Le corps utopique” de Michel Foucault.
Quel film vous fait pleurer ?
Plusieurs, mais parmi ceux qui m’ont fait pleurer pas par réflexe mais profondément : « There will be blood » de Paul Thomas Anderson.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Une amie finalement, je crois.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A cette amie.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
La Havane de mon père. Celle qu’il a dû fuir à 14 ans. Il avait trouvé en Elle plusieurs années plus tôt une forme de bonheur auprès de la branche espagnole exilée là-bas. Il m’en a parlé avec nostalgie toute mon enfance. Après et avant, dans sa vie, tout a été sombre. Misère et injustice. C’est en disant son nom « la Havane » que ses yeux s’éclairaient. Alors pour moi elle a valeur de mythe.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Ceux qui sont de mes amis ou de ma famille.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Mes proches et être bien ensemble.
Que défendez-vous ?
Encore et toujours Ressentir — Désirer — Aimer — Partager et Créer !
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Une définition parmi des milliers pour expliquer cette chose tellement irrationnelle qu’est la passion amoureuse.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Pourquoi me poser la question puisque je suis obligée de répondre oui ?
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Celle à laquelle je répondrai non.
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 10 septembre 2015.