Philippe Blanchon, Motets

La dis­pa­ri­tion du monde

Les édi­tions Comp’act (dont le direc­teur Henri Pon­cet vient de dis­pa­raître) ont per­mis de décou­vrir l’œuvre très par­ti­cu­lière de Phi­lippe Blan­chon. Il tra­vaille sur un même poème dont les pre­miers temps ont été publiés sous les titres  La Nuit Jetée (2004) puis  Capi­tale sous la neige (2008). Dès le début des années 90, il fonda plu­sieurs revues poé­tiques : “Vingt et Un” puis “La Ter­mi­tière”. Il a codi­rigé avec Henri Pon­cet la col­lec­tion Au Carré aux édi­tions Comp’Act, ainsi que la col­lec­tion /Classique/ à la librai­rie La Nerthe. Sa grande œuvre reste une sorte d’épopée en frag­ments où se tra­versent des villes étranges aux jetées « dont l’angle est heurté par des tour­billons de lumière ». Rim­baud n’est jamais loin, Maïa­kovski non plus, sans oublier Pound bien sûr ou encore Williams Car­los Williams et Faulk­ner dans cet immense chan­tier en inces­sant deve­nir.
Le monde s’y brasse jusqu’en ses temps de réces­sion. Des axes s’y déplacent et ses cercles le gau­chissent. Le poète s’y retrouve aussi bien en dehors que dedans. Tout devient laby­rinthe. Le voyage se fait autour de la chambre mais aussi dans des rues qui conduisent au Styx : enfer ou para­dis, qu’importe. Quelque chose avance. Par delà les temps : d’où les « ren­contres » autant avec Vico que Joyce. L’histoire est en marche mais pas for­cé­ment vers un grand soir ou un len­de­main gouailleur.

Il y a du Mar­tin Eden chez le poète mais aussi d’un de ces clo­chards célestes de Beckett jetés au monde avec indif­fé­rence à moins qu’ils ne soient pas encore nés. Du moins pas comme il faut. Tout est agit­prop en un texte qui par­fois joue de la sen­tence sans le moindre souci de faire pour autant des leçons de morale :  “Des escar­gots remontent les rampes / — noces de spi­rales lentes — / étran­gers à eux-mêmes / en corps et en esprits. / Rien ici ne peut émettre, / même les sou­rires sont en sour­dine / mal­gré les filles jolies / et la faim des bagnards. / Même les cris sont des néons”. Entre mémoires et pro­jec­tions ou élu­cu­bra­tions, le livre « impos­sible » (dirait Mau­rice  Blan­chot) en divers cycles avance. Chaque frag­ment déplace le pay­sage de ceux qui le pré­cèdent en une course contre le temps. Mais dedans. Le monde réel s’en trouve bou­le­versé par la force des mots et leurs rythmes.
Ecrire revient à ins­crire des plans sur la comète par la puis­sance d’un ima­gi­naire où Mal­larmé rejoint Kafka, Kepler et Joyce. Pour autant, plu­tôt que lave, le poème joue de la briè­veté : c’est la matière de dis­sé­quer le monde et d’ouvrir le ventre à sa « mytho­lo­gie morte ». Comme chez Pound, le poème devient ainsi un chant pro­fond et sau­vage. Mais Phi­lippe Blan­chon en casse tou­jours la facilité.

jean-paul gavard-perret

Phi­lippe Blan­chon, Motets, Le Nerthe, 2015, 580 p. — 40,00 €.

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