Christian Authier, Les Liens défaits

Les géné­ra­tions désen­chan­tées passent comme feuilles mortes. La plume brillante de G. Ros­tand fait reluire la grisaille

Le Lit­té­raire semble être un bien doux nid à nos rédac­teurs : ils y invitent dès que l’occasion se pré­sente leurs amis proches. Il y a à peine quelques jours de cela, Mehdi Clé­ment - vous vous sou­ve­nez sans doute de la manière si peu ortho­doxe mais ô com­bien talen­tueuse dont il nous disait son admi­ra­tion pour Catulle… — nous pré­sen­tait Guillaume Ros­tand à tra­vers un article magis­tra­le­ment écrit, consa­cré aux Liens défaits, de Chris­tian Authier. Un style inci­sif, sans com­plai­sance, qui pointe avec une finesse maligne et empreinte d’humour les fai­blesses et les gri­sailles… Aus­si­tôt la réac­tion a fusé :
“Guillaume, souhaitez-vous deve­nir chro­ni­queur au Lit­té­raire ?” “Avec plai­sir”, nous a répondu ce jeune homme de 24 ans que nous aurons donc désor­mais la joie de retrou­ver régu­liè­re­ment dans ces pages…

Le blues à l’heure d’Authier

 

Chris­tian Authier a la tête du bon élève de Ter­mi­nale qui cultive sa mar­gi­na­lité en s’affichant fan de rock bruyant. Vous le ver­rez faci­le­ment, tour­nant le stylo dans la main, répon­dant dis­crè­te­ment aux ques­tions du pro­fes­seur. Drôle de dégaine et excel­lente culture his­to­rique. Sex Pis­tols et Traité de Brest-Litovsk. Cer­tains de ceux-là deviennent cadres res­pec­tés, et adoptent des coupes de che­veux plus sages. D’autres optent pour le jour­na­lisme, choix qui leur per­met de conser­ver le look d’antan jusqu’aux abords de la qua­ran­taine. Sou­vent, ils écrivent des livres sur leur géné­ra­tion.
Et il s’agit tou­jours du “por­trait cruel, inci­sif et désa­busé d’une géné­ra­tion désen­chan­tée”. Pas­sons sur ce pon­cif éculé, qui sert de pré­texte au cri­tique pour jus­ti­fier un papier sans avoir à l’écrire. “Dis donc, Didier, c’est quoi, ce bou­quin ?” “Oh, Albert, c’est le récit d’une géné­ra­tion désen­chan­tée”.
Nous voici bien avan­cés…
 
Des romans de géné­ra­tion, il y en a eu des brillants, au temps du gin-fizz et du spleen fitz­gé­ral­dien. Il y en a eu des trash, des amu­sants, des raco­leurs, c’est un peu la foire-fouille, ce concept. Cha­cun a l’impression d’avoir son mot à dire. En l’état, il entre­tient un cycle de redon­dances pas­sa­ble­ment para­sites, à quelques excep­tions près. Mais en bout de course, le thème est le même, le trai­te­ment sou­vent iden­tique. Il s’agit de décrire la lente désa­gré­ga­tion d’un être mal dans son époque, inadapté aux évo­lu­tions de ses pairs. Ben­ja­min Constant et Goethe l’ont fait res­pec­ti­ve­ment, démon­trant que ce mal-être n’est pas l’apanage de nos moder­ni­tés éle­vées aux pros­ta­tiques cogi­ta­tions freu­diennes.
Et dans ce genre lit­té­raire bien par­ti­cu­lier, on peut tout aussi bien trou­ver des joyaux (Fitz­ge­rald, donc, Bes­son, Salin­ger) que d’inqualifiables bouses (Thi­bault de Mon­taigu, l’intégralité de l’œuvre de Lolita Pille).
 
Les liens défaits de Chris­tian Authier a au moins un avan­tage : il est court. 
Ce qui l’empêche de som­brer dans une pla­ti­tude com­plai­sante qui décrit par le menu les affres d’une dépres­sion qu’on a tôt fait de trou­ver sans inté­rêt. Tu vis mal dans ton temps, la belle affaire, paye-toi un heaume cinéma ou prends-toi pour d’Artagnan ! Diantre !
Chris­tophe, le meilleur ami du nar­ra­teur, avec qui il a par­tagé sa pas­sion pour l’OM, les voyages en Espagne et une vision che­va­le­resque de l’existence, sombre. Il a lâché prise, quitté le monde des vivants pour celui des presque-morts, à force de cynisme, de tra­gé­dies minus­cules, de décep­tions en chaîne. Il est de ceux qui croient au panache dans une époque où ce mot rime avec limo­nade et alcool faible. Pour tâcher de com­prendre cette défaite face à l’existence, le nar­ra­teur retrace les évé­ne­ments mar­quants de la vie de cette, donc, géné­ra­tion désen­chan­tée, éle­vée avec Mit­ter­rand, nour­rie à l’espoir de la fin des tota­li­ta­rismes avec la chute du Mur de Ber­lin et, en bout de course, confron­tée à l’absurde fina­lité et fini­tude de notre Monde par la chute des Twin Towers.
Dépe­çant ces temps sans gloire où l’ultra-individualisme conforte l’homme dans un confort pro­saïque, l’auteur nous met face à l’impossibilité d’aimer, de construire, quand tout mène à une lente et impa­rable faillite. Nos vies sont des bulles Inter­net, l’optimisme dure le temps de croire trop fort en ce que nous quit­te­rons vite, rats s’échappant d’un navire pro­mis au nau­frage.
 
Il y a Lau­rence, Emma­nuelle, Théo, le fils de Chris­tophe. Il y a ces gens évo­luant dans un décor tou­lou­sain en pleine décré­pi­tude. Il y a les études qu’on regrette, et le suc­cès dans les affaires, alors qu’on ne s’y atten­dait pas. Il y a tout ce qui consti­tue le per­son­nage de Chris­tophe. Tout ce qui, à mesure qu’il se met en place, le désole et le dégoûte. Et cette ami­tié qui s’éloigne, pas­sant par l’habitude, s’achevant dans l’ignorance. 
L’histoire n’en n’est pas une. Il s’agit bien plu­tôt d’un ins­tan­tané. Pas très relui­sant. Excepté les der­nières pages, d’une sobriété et d’une pré­ci­sion par­ti­cu­liè­re­ment jouis­sives. Il y a donc cette dérive de l’amitié, de l’amour, qui ose s’achever dans une petite note d’espoir, cer­ti­fiant qu’on n’a pas vrai­ment perdu son temps pen­dant 162 pages. On l’a sim­ple­ment vu pas­ser, triste et gris.

Guillaume Ros­tand

   
 

Chris­tian Authier, Les Liens défaits, Stock, février 2006, 157 p. — 15,00 €.

 
     

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