Rosa Montero, La Fille du cannibale

Troi­sième ouvrage de Rosa Mon­tero à être tra­duit en fran­çais, ce thril­ler exis­ten­tiel a reçu en 1997 le prix espa­gnol Primavera

Ce roman est le troi­sième ouvrage de Rosa Mon­tero tra­duit en fran­çais après Le Ter­ri­toire des Bar­bares et La Folle du Logis. C’est une très bonne occa­sion pour les lec­teurs fran­co­phones de décou­vrir, à tra­vers ce livre qui a reçu lors de sa sor­tie en Espagne en 1997 le prix Pri­ma­vera, un écri­vain pro­li­fique, (déjà dix romans), très connu dans son pays, qui allie avec humour réa­lisme et introspection.

La Fille du can­ni­bale est un thril­ler exis­ten­tiel, c’est-à-dire qu’il est construit de telle façon que l’énigme poli­cière appa­raît comme la trame prin­ci­pale du récit, mais une trame suf­fi­sam­ment souple pour lais­ser ensuite toute lati­tude à l’auteur pour abor­der les thèmes qui lui sont chers, à savoir la place de l’adulte dans le monde, la dif­fi­culté de gran­dir et le pas­sage de la jeu­nesse à la matu­rité.
C’est ainsi que le lec­teur va, presque inci­dem­ment, après avoir endossé un par­des­sus de détec­tive en com­pa­gnie de Lucia Romero — une femme pas­sive de 40 ans dont le mari vient d’être kid­nappé — et tro­qué le bleu de tra­vail des anar­chistes liber­taires de l’Espagne de l’entre-deux guerre contre la veste en soie bro­dée d’or des mata­dors, appro­fon­dir le mal-être d’une héroïne en proie à une pro­fonde crise iden­ti­taire.
Comprenez-moi bien : je ne parle pas de la peur au sujet du sort de Ramon ni de l’ébranlement pro­vo­qué par le kid­nap­ping, mais de la peur per­son­nelle lovée en cha­cun de nous, du puits qu’on creuse autour de soi au fur et à mesure qu’on gran­dit, cette peur exsu­dée goutte à goutte, aussi à nous que notre peau, la panique de se savoir vivant et d’être condamné à mort. 

Car Lucia est tour­men­tée par l’idée de la mort, du temps qui passe, inexo­rable, de ce moment cru­cial où il n’est plus pos­sible de pen­ser que demain on pourra recom­men­cer sa vie, car voilà, on ne peut plus, on a déjà sa vie. En proie à cette angoisse irré­duc­tible d’avoir été, d’être et de conti­nuer, Lucia pourra néan­moins comp­ter sur deux com­pa­gnons qui l’aideront à retrou­ver son mari et à se retrou­ver elle-même. Un vieillard anar­chiste tout d’abord, un voi­sin de palier qui, méta­phore du sage Zen, a vécu toute sa vie dans la spon­ta­néité, dans le plein, dans le tour­billon d’un bien et d’un mal indif­fé­ren­cié. Un jeune homme ensuite, idéa­liste mais ter­ri­ble­ment sédui­sant, qui n’a pas encore ses propres paroles et les rem­place par des cita­tions de Lao Tseu. Trois per­son­na­li­tés dis­pa­rates, trois âges de la vie, trois réponses à cette énigme de Delphes qui semble être la toile de fond de ce roman d’initiation bien ficelé, très plai­sant et dont le dénoue­ment, heu­reux, est un appel à la séré­nité, à la confiance en l’intelligence intui­tive, aux lois du chan­ge­ment et de la continuité.

Selon moi, cette conti­nuité se mani­feste dans l’interminable rumeur des conver­sa­tions. Tout ces mots qui flottent dans l’éther depuis que quelqu’un a pro­noncé la pre­mière syl­labe. (…). Tant d’heures, de jours, de souf­frances et d’émotions. Et tout se réduit main­te­nant, à la fin de ma vie à un petit tas de mots que j’ai laissé dans l’air. 

cedric beal

   
 

Rosa Mon­tero, La Fille du can­ni­bale (tra­duit de l’esagnol par André Gabas­tou), Métai­lié “Biblio­thèque his­pa­nique”, jan­vier 2006, 407 p. — 20,00 €.

 
     

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