Dan Simmons, Le Chant de Kali

Saviez-vous que l’auteur du cycle d’Hypérion avait com­mencé par écrire des romans d’horreur ?

Robert Luc­zak est un homme com­blé : il a une femme mer­veilleuse, une ado­rable fillette et il gagne bien sa vie. Lorsque la mai­son d’édition Harper’s lui demande d’aller cher­cher le der­nier manus­crit d’un poète hin­dou mort il y a sept ans, il est aux anges. Sitôt la nou­velle apprise, il va l’annoncer à son vieil ami Abe Bron­stein, qui n’est autre que le direc­teur de la revue Voices. Robert est d’autant plus heu­reux que sa famille est du voyage : sa femme étant d’origine indienne et par­lant cou­ram­ment six langues, elle ser­vira d’interprète en même temps qu’elle retrou­vera son pays, quitté à l’âge de six ans. Abe se ren­frogne et confie alors les choses étranges vues lors de son unique voyage en Inde, per­suadé de faire renon­cer Robert. Voyant que son récit reste sans effet, il sup­plie son ami d’y aller seul…
Dès leur arri­vée à l’aéroport de Cal­cutta, Robert réa­lise qu’il aurait dû écou­ter les conseils d’Abe. Mais ce qui se pro­duit alors n’est rien en com­pa­rai­son de ce qui l’attend, et pas ques­tion de se rebel­ler quand la déesse de la Mort elle-même vous prend en grippe !

 Formi­dable récit d’horreur à lire pelo­tonné sous ses draps la nuit, ce livre ne traite pas tant du dépay­se­ment et de la décou­verte d’une autre culture que d’une quête ini­tia­tique mor­bide. Le lec­teur suit les erre­ments d’un héros qui com­prend tout avec un temps de retard. La décou­verte de l’Inde est un sujet bien relaté, sur­tout quand elle est abor­dée depuis le point de vue d’un Occi­den­tal qui n’a pas pris un ins­tant pour se docu­men­ter au préa­lable. On ne peut pas en dire autant de l’auteur ! Dan Sim­mons aborde son sujet en connais­seur et prend un malin plai­sir à dis­per­ser des bribes d’informations de-ci de-là… les éclair­cis­se­ments étant appor­tés par les per­son­nages au fur et à mesure, selon leur bon vou­loir et leurs moti­va­tions. Le sus­pense tient d’un bout à l’autre et on appré­ciera la fin de ce voyage avec autant de sou­la­ge­ment que la famille Luczak !

Dan Sim­mons mène son petit monde d’une main de maître et réus­sit à créer un uni­vers à l’aide de quelques des­crip­tions simples et pleines d’à-propos. Le reste n’est qu’action, ce qui donne une force et une vita­lité for­mi­dables à ce texte. Mais là où l’auteur s’amuse le plus, c’est lorsqu’il jongle avec les genres lit­té­raires. On sent déjà poindre l’Homme Nu, ce brillant roman ayant la forme d’un exer­cice de style dans lequel Dan Sim­mons marie au moins trois genres dif­fé­rents et une demi-douzaine de styles de la lit­té­ra­ture fan­tas­tique. Ici, il se contente d’une brève incur­sion vers le roman poli­cier, ce qui amène le héros dans une course-poursuite hal­lu­ci­nante, digne d’un block­bus­ter ciné­ma­to­gra­phique. Puis, à bout de souffle, on replonge dans l’horreur, accom­pa­gnant Robert Luc­zak jusqu’au dénoue­ment apo­ca­lyp­tique.
À l’image de son aîné et com­pa­triote Gra­ham Mas­ter­ton, Dan Sim­mons fait preuve d’une grande capa­cité d’imagination et d’un goût par­ti­cu­lier pour les mises en scène macabres. Ce qui le démarque, c’est sa capa­cité à outre­pas­ser les règles éta­blies et à sau­ter d’un genre à l’autre avec une sim­pli­cité décon­cer­tante. Dérouté, le lec­teur se perd et l’angoisse monte d’autant plus que les repères s’entremêlent, s’effacent, pour fina­le­ment réap­pa­raître au détour d’un nou­veau para­graphe. Cette “marque de fabrique” est une constante dans l’écriture des one shot et déroute sou­vent les habi­tués du maître Ste­phen King.

Une réédi­tion bien­ve­nue du pre­mier roman de l’auteur du mythique cycle d’Hypérion.

ana­bel delage

   
 

Dan Sim­mons, Le Chant de Kali (tra­duit par Ber­na­dette Eme­rich), Folio SF n°201, 2005, 373 p. — 5,30 €.

 
     
 

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