Celui qui a renoncé à vieillir : entretien avec Alain Germain ( Fragments de mémoire )

Alain Ger­main est met­teur en scène, cho­ré­graphe, écri­vain, archi­tecte, déco­ra­teur, cos­tu­mier, peintre. Il crée un uni­vers hybride et pro­téi­forme. Il fonda dès 1972 sa com­pa­gnie de théâtre et com­mença une car­rière inter­na­tio­nale. Avec  Frag­ments de mémoire, comme pour faire un point pro­vi­soire, il pro­pose un voyage nomade et une remon­tée dans les arcanes de la mémoire. Il tire des bou­tiques obs­cures (sou­ve­nirs, ins­tan­ta­nés de spec­tacles, etc.) ce qui fonde un cor­pus de vie depuis plus de 40 ans.
Pour le réa­li­ser, l’artiste crée des dis­po­si­tifs com­po­sites ras­sem­blés en qua­dri­la­tères. Il y a là le sub­strat de l’expérience selon « la perte des objets, mosaïque ébré­chée et fresques recom­po­sées d’œuvres recom­po­sables à l’infini ». Chaque œuvre étrange, com­plexe, erra­tique et ambi­guë implique une cer­taine dis­tance en ce qui est vu. Créa­teur d’histoires visuelles, Alain Ger­main y joue avec la notion de repré­sen­ta­tion. Son tra­vail  ne peut don­ner de mes­sages simples. Il consiste en une inter­ac­tion entre le réel et l’imaginaire et rap­pelle que l’identité reste plus com­pli­quée que l’imposture à laquelle on veut la réduire. En consé­quence, des cou­rants sou­ter­rains donnent à l’œuvre une saveur sin­gu­lière. Celle de la dua­lité décli­née de plu­sieurs manières.

Alain Ger­main, Frag­ments de mémoire, Gale­rie Man­sart, Paris 3ème jusqu’au 3 mars 2015.

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
L’idée de récu­pé­rer une mémoire endor­mie, et de la retrou­ver au hasard de la journée.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Avant de savoir que cette forme d’expression exis­tait, j’inventais en gri­bouillant sur du papier des spec­tacles ima­gi­naires, qui sont deve­nus réa­lité à tra­vers mes mises en scène, mes cho­ré­gra­phies et mes expo­si­tions.

A quoi avez-vous renoncé
?

A vieillir.

D’où venez-vous ?

De Caren­tan, dans la Manche, là où les marais réunissent la terre et le ciel.

Qu’avez-vous reçu en dot ?

Le sens du spec­tacle et de la mise en scène. Les cui­sines du res­tau­rant où mon père régnait en maître-queux étaient sem­blables aux cou­lisses d’un opéra et la salle de res­tau­rant, royaume réservé à ma mère, était le pla­teau d’un conti­nuel bal­let où le jeu des clients en écho à celui des ser­veurs ani­mait l’art de la table.

Qu’avez vous dû “pla­quer” pour votre tra­vail ?

Heu­reu­se­ment, l’hôtel-restaurant de mes parents !

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?

De grandes plages de médi­ta­tion, qui pré­parent des créa­tions que je ne connais pas encore.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres écri­vains ?

Etant venu à l’écriture par la mise en scène, mon uni­vers est peut-être plus visuel et plus en relief. Quant à mes sujets, ils sont tou­jours en rela­tion avec les expé­riences que j’ai vécues dans la danse ou l’opéra ; ils sont ainsi tra­ver­sés par les rémi­nis­cences des lieux que j’ai habi­tés plus ou moins long­temps au fil des pro­duc­tions.

Quelle fut l’image pre­mière qui esthé­ti­que­ment vous inter­pela ?

Un Christ en Croix baroque ou saint-sulpicien que je voyais régu­liè­re­ment lorsque j’entrais dans l’église de Caren­tan. Il y avait dans le réa­lisme de cette sculp­ture la mise en scène du corps d’un dan­seur que j’ai par la suite recher­ché dans ma ver­sion cho­ré­gra­phiée du Requiem de Mozart.

Et votre pre­mière lec­ture ?

Si l’on oublie comme je les ai oubliés d’ailleurs Bécas­sine et Les Mémoires de Cadi­chon de la Com­tesse de Ségur, mon pre­mier vrai livre est Le Roman de la Momie de Théo­phile Gau­tier, suivi immé­dia­te­ment de La Tulipe noire d’Alexandre Dumas. J’y pui­sais déjà sans savoir que plus tard j’écrirais un art de l’imaginaire où l’action se tein­tait de sus­pens et d’ironie.

Pour­quoi votre atti­rance pour les frag­ments ?

Si vous vou­lez par­ler de mes Frag­ments de mémoire, ils repré­sentent une trace ultime des archives conser­vées de mes spec­tacles. En les recom­po­sant et les trans­for­mant, je donne une seconde vie à un art éphé­mère.

Quelles musiques écoutez-vous ?
A la cam­pagne sur­tout, du baroque, de la mélo­die fran­çaise et les grands opé­ras, qu’ils appar­tiennent au réper­toire clas­sique ou à la musique contem­po­raine.

Quel est le livre que vous aimez relire ?

Relire un livre qu’on a beau­coup aimé est pour moi sou­vent source de désen­chan­te­ment. Je pré­fère res­ter avec le sou­ve­nir du plai­sir qu’il m’a pro­curé lors de sa décou­verte.

Quel film vous fait pleu­rer ?
Je pleure faci­le­ment au cinéma, mais der­niè­re­ment, je crois que c’est le film Billy Eliot qui m’a le plus ému, pro­ba­ble­ment parce que je me suis iden­ti­fié au jeune héros qui sou­haite deve­nir dan­seur.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?

Une per­sonne qui ne res­semble pas à l’image que j’ai d’elle.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?

A Mar­gue­rite Duras, qui un jour m’a télé­phoné pour me dire qu’elle venait de gagner un pro­cès contre un direc­teur de théâtre avec lequel j’étais moi-même en conflit, et que ce pro­cès, elle l’avait aussi gagné pour moi.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?

Tant de lieux… L’Hérode Atti­cus à Athènes, la Royale Opera House de Convent Gar­den, le Palais Gar­nier, les châ­teaux de Cham­bord… — des lieux dont j’ai pu décou­vrir la valeur sym­bo­lique et la puis­sance mythique en y séjour­nant pour mon­ter mes pro­duc­tions.

Quels sont les artistes dont vous vous sen­tez le plus proche ?

Le Cara­vage pour le clair-obscur, Georges de La Tour pour la mise en lumière des ténèbres, Bron­zino et Ingres pour l’art du por­trait et du cos­tume, Rothko pour l’abstraction infi­nie qu’il offre avec tant de sobriété.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Quelques années de plus à vivre en pleine forme.

Que défendez-vous ?

Evi­dem­ment, Char­lie. Mais sur­tout la liberté d’expression, l’égalité, la fra­ter­nité et la laï­cité. Les droits de l’Homme !

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Je pense le contraire.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Comme le disait Gus­tave Flau­bert, « La bêtise consiste à conclure ». Elle consiste aussi à mon sens à répondre trop vite et trop caté­go­ri­que­ment, ne trouvez-vous pas ?

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?

On se voit quand ?

pré­sen­ta­tion et entre­tiens réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 2 février 2015.

1 Comment

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One Response to Celui qui a renoncé à vieillir : entretien avec Alain Germain ( Fragments de mémoire )

  1. Wendell

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